Les miracles du Coran

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Contexte

Il est devenu courant d’entendre que le Coran renfermerait toutes les théories et  découvertes scientifiques, ce qui prouverait son origine divine. Cette théorie s’appuie sur un verset dans lequel la voix divine du Coran déclare que « Nous n’avons rien omis  dans ce Livre » (6:38). Ceci a engendré tout un discours sur les prétendus « miracles »  du Coran devenu très en vogue dans l’apologétique islamique. Ces « miracles » sont 

promus sur internet à travers des vidéos font appel au sensationnalisme et tirent  avantage de l’ignorance du public auquel elles s’adressent. Mais derrière ce discours  souvent bien rodé, se cachent une réalité bien moins glorieuse : falsification des textes,  corruption de scientifiques, méthodologie fallacieuse, etc. Dans cet article, nous faisons  l’état des lieux de la question.

Histoire et développement

Des origines récentes

L’idée que le Coran renferme des miracles scientifiques apparait à une période  récente de son histoire, avec le progrès des connaissances apporté par les Européens  au 19e siècle. Comme le souligne Mustansir Mir, il s’agit à l’époque d’un projet «  défensif »1. Il coïncide en effet avec la période de la colonisation européenne, durant  laquelle le monde musulman voit débarquer sur son territoire les colons européens et  avec eux, les scientifiques, médecins, soldats, ingénieurs, commerçants et hauts  fonctionnaires. Les musulmans prennent alors conscience du retard scientifique et  technologique de la oumma par rapport au monde occidental2. En réaction, certains  écrivains musulmans commencent à élaborer le discours selon lequel le Coran  contiendrait déjà toute la science moderne et qu’il suffit simplement de la retrouver :  c’est le point de départ du « commentaire scientifique » (tafsir ‘ilmi) du Coran.  

 Le savant égyptien Tantawa Jawhari (m. 1940) fut l’un des pionniers de cette  approche avec la publication en 1931 d’un commentaire du Coran en vingt-six volumes  intitulé Jawahir al Qur’an (« Les Joyaux du Coran »). Après des études classiques à  l’université d’Al-Azhar, il s’intéressa de près aux sciences modernes. N’ayant aucun 

bagage scientifique, il se mit à apprendre le français, l’anglais et l’allemand afin de  pouvoir se documenter dans des manuels scolaires ou des livres de vulgarisation3. Cela  lui permit d’affirmer pompeusement que toutes les connaissances humaines se  trouvaient dans les 750 « versets scientifiques » du Coran qu’il avait dénombrés ! 

Autant dire que les rapprochements qu’il effectue entre le Coran et la science ne sont  pas très convaincants. À titre d’exemple, il soutient que l’image de la « mer bouillante »  (52:6) signifie la composition de l’eau en hydrogène et oxygène… Cela ne l’empêcha  pas, à la fin de sa vie, de postuler pour le prix Nobel !

Une situation paradoxale

Nous avons vu que les prétentions concernant les miracles du Coran avaient pris  naissance avec le progrès des sciences naturelles au 19e siècle. Il ne s’agit évidemment  pas d’un hasard de calendrier : c’est justement parce que les connaissances  scientifiques s’étaient considérablement accrues, que certains penseurs musulmans  ont pu mobiliser les sciences à des fins apologétiques et religieuses, en affirmant après  coup qu’elles se trouvaient déjà dans le Coran. Mais si le Coran contenait à l’avance  toutes les découvertes scientifiques, pourquoi proviennent-elles de façon écrasante des  Occidentaux ? On estime en effet que 97% des découvertes scientifiques, de l’antiquité jusqu’aux années 2000, sont attribuables à des Européens ou des Américains4. Mais si  ces découvertes figuraient déjà dans le Coran comme le prétendent certains, pourquoi  les musulmans ne sont-ils pas mieux représentés parmi les grands scientifiques et  inventeurs ? Comment expliquer que les musulmans, qui méditent chaque jour sur le  Coran depuis des siècles, n’aient pas remarqué que toutes ces découvertes se trouvaient  juste sous leurs yeux ? Si la théorie du « Big Bang » était inscrite dans le Coran comme  l’affirment certains, pourquoi a-telle été formulée par un prêtre catholique, et non par  un imam ? Pourquoi attendre passivement qu’une théorie soit formulée par les  scientifiques pour la retrouver dans le Coran ? Après tout, si l’hypothèse des miracles  scientifiques du Coran était vraie, les scientifiques devraient pouvoir déduire du texte  coranique de nouvelles découvertes ou théories scientifiques. Or, jusqu’à maintenant,  les choses se font toujours à sens unique : d’abord la découverte, et ensuite la «  confirmation » qu’elle se trouvait dans le Coran.  

 Pour résumer, s’il n’y avait pas eu de révolution scientifique initiée par les  Européens, personne n’aurait jamais entendu parler des « miracles » du Coran.  Comme le souligne Mustansir Mir, « il est curieux de constater que, dans les premiers  siècles où l’activité scientifique musulmane était intense, les principaux commentaires  du Coran ne font généralement pas référence à la science, alors qu’aujourd’hui, tandis  que l’activité scientifique musulmane a diminué, de nombreux musulmans prétendent  avoir trouvé dans la science un allié et un défenseur de la foi en l’islam »5.

Des scandales à répétition

Les grandes figures médiatiques des « miracles » du Coran ont été éclaboussées par  des scandales en tout genre, allant de la corruption au terrorisme. Une enquête du Wall  Street Journal avait révélé en 2002 que la Commission des miracles scientifiques du  Coran et de la Sunna, l’une des principales organisations en charge de promouvoir les  miracles du Coran, avait manipulé et corrompu plusieurs scientifiques occidentaux  afin qu’ils tiennent des propos compatibles avec le point de vue islamique. Les  scientifiques avaient été invités tous frais payés (billets d’avion en première classe,  séjour dans un hôtel de luxe) à une conférence à Islamabad (Pakistan) présentée de  façon mensongère par les organisateurs comme neutre. Au lieu de cela, les scientifiques

sont tombés dans un véritable traquenard où on les a incités à commenter des versets  du Coran et des hadïths en les présentant comme des vérités scientifiques. Les  scientifiques, qui ont en outre reçu des sommes d’argent et pour certains des cadeaux  de grande valeur, ont dénoncé un « piège » et une « une manipulation »6 . Pour  couronner le tout, le fondateur de la Commission des miracles scientifiques du Coran  est le yéménite Abdul Majid Zindani, l’un des mentors d’Oussama Ben Laden7. Zindani  a été épinglé pour une autre affaire : il avait invité le Professeur d’embryologie  américain Keith Moore, auteur d’un livre intitulé Le développement humain (en  anglais), afin de co-écrire avec lui une 3e édition de son ouvrage. Mais Zindani avait  ajouté des sections entières conformes à la vision des « miracles » du Coran sans  naturellement en informer le célèbre embryologiste, faisant croire que ce dernier  approuvait de telles additions. Keith Moore n’a jamais souhaité s’exprimer  publiquement sur le sujet. On notera cependant que dans les éditions ultérieures de son manuel, les parties ajoutées par Zindani ont été supprimées, et la seule référence  faite au Coran est faite pour illustrer la stagnation de la connaissance sur le  développement de l’embryon au Moyen-Âge8.  

 En 1979, un géologue allemand, Alfred Kröner, avait déjà fait les frais de ce type  d’agissements. Il avait lui aussi été interrogé sur la conformité du Coran à la science  lors d’une conférence enregistrée qui se tenait en Arabie Saoudite. Ses propos ont été  détournés et tronqués à son détriment, comme il l’expliquera plus tard :

Au fil des ans, j’ai répondu à des centaines de courriels concernant ce sujet. En 1979, j’ai  assisté à une conférence géologique à Djeddah, en Arabie Saoudite, et il y a eu une  interview télévisée avec cinq géologues occidentaux organisée par le ministre des affaires  religieuses de l’époque, qui était titulaire d’un doctorat en géologie. La question était de  savoir si le Coran était compatible avec les opinions modernes sur l’évolution de la Terre.  Comme vous pouvez l’imaginer, les écrits religieux comportent toujours des aspects  compatibles avec la nature, et le Coran ne fait pas exception à la règle. Les citations que  l’on trouve aujourd’hui sur ces sites religieux sont sorties de leur contexte, je ne me  souviens même plus des détails de l’interview. En tout état de cause, quoi que vous  trouviez sur ces sites, je n’ai certainement jamais dit ce qui est cité aujourd’hui. Je n’y  peux pas grand-chose, j’ai demandé conseil à plusieurs amis du monde islamique et ils  m’ont tous dit de laisser tomber et de vivre avec9.

Bref, on le voit, les défenseurs de « miracles » du Coran sont prêts à tout pour arriver à  leur fin, y compris à corrompre et à manipuler des scientifiques occidentaux. Le but,  visiblement, n’est pas d’étudier de façon sérieuse la science en elle-même, mais de  prouver coûte que coûter l’origine divine du Coran, même au prix du mensonge.

Un discours contesté en interne

L’approche pseudo-scientifique des « miracles » du Coran est loin de faire  l’unanimité chez les musulmans et a reçu son lot de critiques de la part de nombreux savants. L’écrivain égyptien Amir al-Khuli (m. 1966) est l’un des premiers à avoir  contesté ce type d’exégèse en formulant trois arguments à son encontre : 

  1. Les mots évoluent et prennent un sens particulier à certaines époques : il ne faut  donc pas forcer le sens des mots du Coran en leur donnant des sens  anachroniques.  
  2. Le Coran est destiné à être compris de ses auditeurs. Si l’on donne un sens  moderne aux mots, que penser des contemporains du prophète ? Si ces derniers  avaient appris le sens que leur attribuent les apologistes contemporains,  comment se fait-il que le développement scientifique des Arabes ait été très  postérieur au Coran ? Et s’ils ne l’ont pas compris ainsi, comment penser que  c’était le sens voulu par Dieu ? 
  3. Le rôle d’un livre religieux n’est pas de donner des connaissances de l’univers,  car celles-ci évoluent, mais d’agir sur les sentiments, et sur les sentiments de  tous, même les non instruits10

Plus récemment, de nombreuses voix scientifiques se sont levées dans le monde  musulman contre l’instrumentalisation de la science à des fins religieuses. La  physicienne d’origine tunisienne Faouzia Charfi a ainsi condamné « les faussaires de  la science » dans son livre La science voilée où elle dénonce l’attitude de certains  musulmans contre la science moderne11 . Citons également l’astrophysicien algérien  Nidhal Guessoum, qui s’en prend lui aussi aux partisans des « miracles » du Coran12.  Ce mouvement de contestation a des échos jusque sur des sites populaires comme  oumma.com (un site musulman confessionnel) où un article dénonce les « mirages scientifiques » du Coran13.

Les faiblesses d’une méthodologie biaisée

Le concordisme

Les partisans des « miracles » du Coran utilisent une méthode qu’on appelle le concordisme, qui consiste à extraire un verset du Coran pour le faire coïncider avec une  théorie ou une observation scientifique. Cette méthode est critiquable en de nombreux  points : tout d’abord, elle « oublie » que les versets du Coran se placent dans un  contexte littéraire et historique duquel on ne peut l’isoler. L’objectif des concordistes  est de décontextualiser les passages prétendument miraculeux afin de leur donner une  nouvelle interprétation en phase avec la science moderne. En faisant cela, les  concordistes contreviennent à toutes les règles islamiques en matière d’exégèse, qui  consistent à s’appuyer sur l’opinion des oulémas – qui sont les seules autorités  légitimes en matière d’interprétation du Coran (en tout cas à l’intérieur de la tradition  sunnite). Cette attitude est d’ailleurs dénoncée dans un hadîth célèbre où le prophète

déclare que « celui qui parle du Coran de sa propre opinion, qu’il prenne sa place en  enfer »15. De plus, elle créé le dilemme suivant : ou bien les interprétations  concordistes sont vraies, auquel cas les savants musulmans depuis les premières  générations font fausse route, ou bien elles sont fausses, et dans ce sont n’ont pas lieu  d’être. 

 Un célèbre exemple de concordisme est celui du prétendu « miracle » des abeilles.  Nos amies butineuses sont effectivement mentionnées dans la sourate 16, qui s’intitule  justement « Les abeilles ». D’après certains sites apologétiques, l’agencement entre le  titre et le numéro de la sourate serait de nature miraculeuse, puisque les abeilles mâles  posséderaient 16 chromosomes, tandis que les femelles en possèderaient 16 paires (soit  32 au total). Évidemment, impossible de le savoir à l’époque du prophète ! Les choses  sont cependant plus compliquées. Il existe en réalité environ 20 000 espèces d’abeilles  dans le monde, dont 200 ont fait l’objet d’un séquençage génétique de la part des  scientifiques à ce jour. Or, on observe une grande variabilité du nombre de  chromosomes selon les espèces, qui s’étend de 3 à 28. Il est vrai que certaines espèces  possèdent bel et bien 16 chromosomes (ou 16 paires pour les femelles), mais ce chiffre  n’est ni le seul, ni même le plus récurent 14 . Qu’importe, à partir du moment où il  arrange les affaires des concordistes, tout le reste passe au second plan.  

 Citons un dernier exemple de manipulation concordiste concernant cette fois-ci la  question des couches atmosphériques. Le Coran affirme à plusieurs reprises qu’Allâh a  créé sept cieux (2:29 ; 17:44 ; 65:12). Cette idée n’est pas proprement coranique  puisqu’elle provient de la mythologie mésopotamienne, et avait été popularisée dans  l’antiquité par le Talmud ou certains écrits apocryphes15 . Cela n’a pas empêché des  prédicateurs musulmans d’y voir un miracle scientifique – miracle qu’il faudrait alors  attribuer aux Mésopotamiens ! D’après ces prédicateurs, relayés par de nombreux sites  internet, les sept cieux feraient référence aux sept couches de l’atmosphère, ce qui  montrerait que le Coran anticipe les sciences astronomiques. Le problème, comme  l’explique la physicienne Faouzia Charfi, c’est qu’aucune classification ne dénombre  sept couches atmosphériques : 

Pour arriver à sept couches, sont prises en compte deux classifications différentes, celle  des météorologistes, basée sur la variation de la température en fonction de l’altitude et  celle des radiophysiciens pour qui le critère est la concentration en électrons libres. Dans  cette juxtaposition de deux types de classifications, certaines tranches atmosphériques  sont comptées deux fois. Cela ne gêne pas les auteurs. L’essentiel, encore une fois, n’est  pas la cohérence de ce qui est exposé, mais le résultat. En dépit de toute logique, on  change de critère en fonction du résultat (sept couches) que l’on veut obtenir16.

Un autre problème du concordisme est qu’il est applicable à n’importe quel écrit  ancien. Prenons l’exemple suivant : dans Le Crépuscule des Idoles, le philosophe  allemand Friedrich Nietzsche écrivait que « seules les pensées qui vous viennent en  marchant ont de la valeur ». Or, plusieurs études scientifiques ont montré qu’une  activité physique d’intensité modérée comme la marche engendrait une forte activité

dans les zones cérébrales associées aux tâches exécutives, comme l’illustrent les IRM  réalisées sur des sujets après 20 minutes de marche ou après 20 minutes de repos

.

Fig. 1 : Imagerie médicale de l’activité cérébrale de deux individus après 20 minutes de repos
et de marche – Dr. Chuck Hillman, Université de l’Illinois

     C

omment Nietzsche, qui n’avait pas accès aux méthodes d’imageries médicales  modernes ni aux connaissances neuroscientifiques modernes, pouvait-il savoir que la  marche créait un surplus d’activité neuronale ? En fait, selon la méthodologie  concordiste, rien n’empêcherait un adepte d’une nouvelle religion nietzschéenne de  prétendre que le philosophe allemand avait reçu un enseignement divin.  

 Aussi, il conviendrait de faire un inventaire des connaissances scientifiques de  l’époque, qui étaient souvent plus avancées qu’on peut le croire a priori (par exemple,  les médecins grecs de l’Antiquité avaient bien compris que le siège de l’épilepsie était  le cerveau). Dans le verset 24:45, il est dit que « Dieu a créé tous les êtres vivants à  partir de l’eau». Ce passage est régulièrement cité dans le discours apologétique car il  montrerait que le Coran a connaissance du fait que les êtres vivants sont  essentiellement composés d’eau. En soi, ce n’est pas la seule interprétation possible du  verset : comme le souligne Denise Masson dans sa traduction du Coran, l’expression  désigne sans doute la « semence » plutôt que l’eau en elle-même17. D’autre part, elle  pourrait découler de la simple observation que l’eau est indispensable au vivant, ce qui  n’aura échappé à personne. Mais même en acceptant l’interprétation du discours  apologétique, l’idée que l’eau serait le principe à l’origine de toute chose, y compris des  êtres vivants, était connue à l’époque préislamique. Déjà pour Thalès, qui écrivait près  d’un millénaire avant le Coran, l’eau était le « principe de toutes choses »18. On trouve  un propos très similaire chez le théologien syriaque Éphrem de Nisibe (m. 373), qui  écrit dans son Commentaire sur la Genèse que « par la lumière et l’eau, la terre a fait  naître toute chose »19. Nous remarquons que l’idée formulée par le Coran, en supposant  qu’elle fasse bien référence au fait que les êtres vivants sont constitués principalement  d’eau, est donc loin d’être nouvelle. Un autre exemple concerne la prétendue référence  à la notion d’atome dans le Coran. On lit dans le passage suivant : « Celui qui aura fait  le poids d’un atome de bien, le verra; celui qui aura fait le poids d’un atome de mal, le  verra » (99:7-8). Mais une fois encore, le « miracle » n’en est pas un. Premièrement, le terme dharra, souvent traduit à tort par « atome », désigne en fait une petite fourmi20 ou encore « une particule de poussière ou de poudre »21. Même en supposant que le  terme désigne bel et bien l’atome en tant que tel, il ne s’agirait en aucun cas d’un «  miracle ». Le concept d’atome est en effet bien connu des Grecs, à commencer par  Démocrite, dès le 5e siècle avant notre ère, et le courant atomiste poursuivi par Épicure  et Lucrèce.

Des traductions tronquées

Comme le public visé par les afficionados du concordisme coranique est souvent  occidental, les « démonstrations » reposent sur des traductions du Coran en langues  européennes, qui travestissent voire falsifient le texte arabe d’origine. Par exemple, on  lit au verset 79:30 : « Et quand à la terre, en plus de cela, Il l’a étendue » (trad.  Muhammad Hamidullah). Mais le prédicateur Zakir Naik a recours à une manipulation  linguistique très audacieuse pour contourner le sens visiblement embarrassant du  verset qui implique que la terre est plate. Il affirme en effet que « le mot arabe pour  étendre ici est dahaha qui signifie œuf d’autruche. La forme d’un œuf d’autruche  ressemble à la forme géo-sphérique de la terre. Ainsi le Coran décrit correctement la  forme de la terre […] »22. Ces propos, qui contreviennent à toutes les règles de la langue  arabe, pourraient faire rire s’ils ne venaient pas d’un prédicateur suivi par des millions  de personnes. Daha étant un verbe, il est impossible que son sens soit « œuf  (d’autruche) », qui est un nom (le ha final est un suffixe renvoyant à la terre). Quant à  la racine trilittère d-h-w (و ح د(, d’où est issu le verbe, elle renvoie d’après tous les  dictionnaires arabes à la notion d’étendue25. Un second exemple concerne le verset  51:47 : « Le ciel, Nous l’avons construit solidement. En vérité, Nous sommes plein de  largesse ! » (trad. Régis Blachère). Ce verset fait référence selon certains apologistes à  l’expansion de l’univers (nous reviendrons plus tard sur la question). Pour appuyer  cette affirmation, ils traduisent la section « wa-innâ lamousi’ouna » par « Nous  l’étendons [le ciel] dans l’immensité ». Mais cette traduction n’est pas exacte. En arabe,  le mot « wasa’a » veut dire « avoir (telle) capacité, comprendre, contenir, inclure ».  Littéralement, il faudrait traduire le verset ainsi : « le ciel, Nous l’avons construit par  Notre puissance et Nous en avons la capacité ». C’est d’ailleurs l’interprétation  musulmane traditionnelle. Le savant alQurtubi a mentionné dans son tafsir que : « Ibn  ‘Abbâs a dit : « Nous en sommes capables ». Et on a dit : « Celui qui a la capacité, par  Sa création et la création d’autres choses, rien de ce que Nous voulons ne nous est  difficile »23

Le problème de la « science »

Il faut ajouter qu’aucune connaissance scientifique ne constitue une vérité absolue  et indépassable. La science évolue dans le temps : une théorie scientifique peut être  considérée comme valide à un instant t, et être contredite à un instant t+1 sur la base  de nouveaux éléments. De plus, il n’existe pas de méthode permettant de prouver que 

les théories scientifiques sont vraies, ou même probablement vraies 24 . Toutes ces  théories sont des constructions humaines, susceptibles de comporter des erreurs et des  failles. Le concept des « miracles » scientifiques du Coran revient donc à réduire un  texte considéré comme divin, immuable et infaillible, à des théories humaines qui  s’inscrivent dans un temps et un espace donnés, qui possèdent par définition un certain  degré d’incertitude, et qui sont susceptibles d’être réfutées. Nidhal Guessoum avait  déjà souligné les faiblesses méthodologiques de partisans des « miracles », en  remarquant qu’ils se basaient sur des « principes erronés », à savoir : (1) l’idée que  l’interprétation des versets du Coran est univoque et définitive, permettant ainsi une  comparaison avec des observations ou théories scientifiques ; (2) l’idée que la science  est simple et claire, qu’elle contient des faits définitifs que l’on peut facilement  distinguer des simples théories28.  

 Comme nous l’avons rappelé, les concordistes mettent en rapport un texte censé  contenir des paroles figées dans le temps avec des théories qui ne le sont pas. Mais que  se passe-t-il alors si certaines de ces théories étaient remises en cause dans le futur ? À  vrai dire, la chose s’est déjà produite par le passé. Les savants musulmans de la période  médiévale se réjouissaient que la description faite par le Coran du développement de  l’embryon soit en adéquation avec les théories du médecin grec Galien (m. 216), qui  étaient dominantes à l’époque dans les milieux scientifiques25. Or, ces théories ne sont  plus en adéquation avec les connaissances actuelles, ce qui jette du même coup un  doute sur la véracité du texte coranique. Revenons au verset 51:47 que nous avons déjà  cité et qui, dans sa traduction tronquée, est compris par les apologistes comme une  référence à l’expansion de l’univers. L’idée que l’univers est en constante expansion  n’est qu’une des nombreuses hypothèses possibles.  

 L’astrophysicien Jean-Marc Bonnet-Bidaud, dans une interview accordée au  Monde, a commenté à ce sujet : « nous observons un décalage vers le rouge de la  lumière d’objets lointains et nous en déduisons que l’Univers se dilate. Mais cette  interprétation n’est qu’une des hypothèses possibles et l’on n’a pas forcément besoin  d’avoir un Univers en expansion pour obtenir ce décalage vers le rouge de la  lumière »26 . Qu’importe : pour les concordistes, une théorie scientifique est vraie à  partir du moment où on peut la faire coïncider avec le Coran !

Références

1 Mustansir Mir, « Scientific Exegesis of the Qurʾan—A Viable Project? », Journal of Islam & Science, vol. 2 (1), 2004, p. 40.

2 Dominique Urvoy & Marie-Thérèse Urvoy, Enquête sur le miracle coranique, Paris : Le Cerf, 2018, p. 73.

3 Majid Daneshgar, « The Qur’an and Science, Part II: Scientific Interpretations from North Africa to China, Bengal, and the Malay-Indonesian World », Zygon: Journal of Religion and Science, vol. 58 (4), 2023, pp. 15-16.

4 Faouzia Charfi, La science voilée, Eyrolles, 2013, p. 87.

5 Charles Murray, Human Accomplishment: The Pursuit of Excellence in the Arts and Sciences, 800 B.C. to 1950, Harper Perennial, 2004, p. 252.

6 Mustansir Mir, art. cit., p. 40.

7 Daniel Golden, « Western Scholars Play Key Role In Touting ‘Science’ of the Quran », The Wall Street Journal, 23 janvier 2002.

8 Communiqué de presse du Ministère américain au trésor (U.S. Department of the Treasury) : https://home.treasury.gov/news/press-releases/js1190

9 Keith L. Moore, The Human Development : Clinically oriented embryology, Philadelphie : Elsevier, 2013, p. 5.

10 Majid Daneshgar, « The Qurʾan and Science, Part III: Makers of the Scientific Miraculousness », Zygon: Journal of Religion and Science, vol. 58 (4), 2023, p. 1018.

11 Dominique Urvoy & Marie-Thérèse Urvoy, op. cit., p. 100.

12 Faouzia Charfi, op. cit., notamment ch. 3.

13 Nidhal Guessoum, Islam’s Quantum Question: Reconciling Muslim Tradition and Modern Science, B. Tauris, 2010. L’ouvrage a été traduit en français sous le titre : Islam et science – Comment concilier le Coran et la science moderne, Devry, 2013. Les citations dans le présent article renvoient à la version anglaise d’origine

14 Hocike Kerzai, « Les « mirages scientifiques » du Coran. Regard musulman sur le concordisme islamique », Oumma.com : https://oumma.com/mirages-scientifiques-coran/

15 Sunan at-Tirmidhi 2951.

16 Marine Souza Cunha et al., « The Bee Chromosome database (Hymenoptera: Apidae) », Apidologie, vol. 52, 2021, pp. 493-502 et notamment p. 498.

17 Peter Jensen, Die Kosmologie der Babylonier. Studien und Materialen, De Gruyter, 1890, p. 11 ; Adela Y. Collins, Cosmology and Eschatology in Jewish & Christian Apocalypticism, Leiden : Brill, 1996, p. 29. Nous en reparlerons dans une future publication.

18 Faouzia Charfi, op. cit., p. 92.

19 Denise Masson, Le Coran, Gallimard, 1967, p. 885.

20 Diogène Laërce, Vie de Thalès, I, 24.

21 Gabriel S. Reynolds, The Qur’an and the Bible: Text and Commentary, Yale University Press, 2018, p. 553.

22 Julien Decharneux & Guillaume Dye, « Commentaire de la sourate 10 », in Mohammad Ali Amir Moezzi & Guillaume Dye (eds.), Le Coran des historiens, vol. 2a, Le Cerf, 2019, p. 452.

23 Denise Masson, op. cit., p. 815.

24 Zakir Naik, The Qur’an and Modern Science: Compatible or incompatible ?, p. 8.

25 Ibn Manzour, Lisân al-‘Arab, vol. 5, p. 224 sqq.

26 Mohammed bin Ahmed al-‘Ansâri al-Qurtubi, Al-Jâmi’ li-Ahkâm al-Qor’ân, Dâr al-Fiker, vol. 17, p. 49.

27 Pour une bonne introduction à l’épistémologie des sciences, voir Alan F. Chalmers, Qu’est-ce que la science ?, La Découverte, 1990.

28 Nidhal Guessoum, op. cit., p. 166.

29 Basim Mussalam, Sex and Society in Islam. Birth control before the nineteenth century, Cambridge University Press, 1983, p.54.

30 Pierre Barthélémy, « ‘‘Le modèle du Big Bang est fragile’’, un entretien avec Jean-Marc Bonnet- Bidaud », Le Monde, 14 mai 2012.