La guerre des étoiles

Partager l'article sur les réseaux sociaux

Contexte

Le Coran contient un récit assez curieux selon lequel les étoiles servent de rempart contre les démons venus espionner l’assemblée divine pour en tirer des informations. Certains démons parviennent toutefois à déjouer le piège et à saisir quelques bribes d’informations. Ils sont alors pourchassés à coup de météorites :

Nous avons décoré le ciel le plus proche d’un décor : les étoiles, afin de le protéger contre tout diable rebelle. Ils ne pourront être à l’écoute de l’assemblée ; car ils seront harcelés de tout côté, et refoulés. Et ils auront un châtiment perpétuel. Sauf celui qui saisit au vol quelque [information]; il est alors pourchassé par un météore transperçant (37:6-10).

La source du récit provient de divers mythes proche-orientaux.

L’assemblée divine

Afin d’y voir plus clair sur cette histoire de démons pourchassés par des météorites, reprenons les choses dans l’ordre. Le Coran fait mention tout d’abord de l’assemblée céleste où se réunissent les chefs des anges pour décider des affaires des hommes1. Cette idée découle indirectement de la mythologie mésopotamienne dont les textes évoquent l’assemblée où les divinités se rassemblent pour y prendre des décisions concernant le destin de certains hommes, voire de l’humanité entière. Corinne Bonnet précise que « cette notion est sans doute une sorte de projection des assemblées humaines présidées par le roi. En d’autres termes, la représentation du royaume divin est calquée sur celui des hommes »2. On retrouve le thème de l’assemblée céleste au sein de nombreuses autres traditions du Proche-Orient, par exemple chez les Phéniciens ou les Hébreux3, qui ont dû servir de médiateur entre le mythe mésopotamien et le milieu coranique. Il est possible également que « cette cour céleste puisse être liée à des mythes païens préislamiques sur la nature, qui contiennent une imagerie similaire et dans lesquels le ciel est un thème central »4. Dans un cas comme dans l’autre, il est clair que le Coran reprend à son compte un concept d’origine mythologique.

Un mythe zoroastrien

Il est dit ensuite que les démons essayent d’approcher l’assemblée céleste pour écouter les décisions. Pour empêcher cela, Allâh a placé les étoiles dans le ciel servant de rempart. De manière intéressante, les constellations du zodiaque sont parfois désignées dans le Coran par le terme burûj (15:16 ; 25:61 ; 85:1) qui signifie « tours » (voir par exemple 4:78). Ceci permet de confirmer que pour les auteurs coraniques, les étoiles sont littéralement des fortifications. De plus, l’arabe burûj vient du grec purgos (πύργός) qui signifie justement « tour, citadelle »5. Le terme est utilisé dans l’Odyssée d’Homère où il sert à désigner les tours de défense d’une ville : « Quand nous entrerons dans la ville, qu’entoure une muraille flanquée de hautes tours […] » (chant VI, 262).

De façon curieuse, les étoiles-forteresses dressées par Allâh n’ont pas l’air de fonctionner étant donné que certains démons parviennent malgré tout à obtenir des informations issues de l’assemblée céleste. Ceux-là sont alors lapidés à coup d’étoiles filantes (37:10). Cette fois-ci, c’est du côté de la mythologie zoroastrienne qu’il faut chercher pour trouver la source du récit coranique6. D’après les textes zoroastriens7, le dieu Ohrmazed réside dans la partie supérieure du ciel supposée inaccessible aux forces du mal. Celles-ci se trouvent dans le ciel inférieur mais tentent de remonter afin de combattre Ohrmazed, qui a créé les étoiles en guise de soldats pour l’assister dans sa lutte. C’est à cette tradition que le Coran fait allusion lorsqu’il déclare au sujet du ciel que « Nous l’avons protégé contre tout diable banni » (15:6), la protection en question étant bien sûr les étoiles : « Nous avons décoré le ciel le plus proche d’un décor : les étoiles, afin de le protéger contre tout diable rebelle » (37:6-7). Dans le Coran comme dans la mythologie perse, les étoiles ont donc pour fonction première d’empêcher les démons d’accéder au ciel supérieur.

Les démons-espions

Il existe toutefois une différence entre le Coran et cls textes zoroastriens : dans le Coran, les démons souhaitent pénétrer le ciel pour avoir accès aux informations célestes et non pour s’en prendre à la divinité. Cela nous conduit à présent vers les textes apocryphes et talmudiques. Dans le Testament de Salomon, un livre apocryphe écrit entre le 1er et le 3e siècle par un auteur chrétien, on peut lire un dialogue entre le démon Ornias et le prophète Salomon. Le démon dit à ce dernier : « Nous, les démons, montons au firmament du ciel, nous volons parmi les étoiles, et nous entendons les décisions qui émanent de Dieu concernant la vie des hommes » (20:12). L’idée que les démons écoutent les informations émanant de Dieu (ou des anges) se trouve également dans le Talmud (Gittin 68a ; Chagigah 16a) et dans les écrits des Pères de l’Église. Dans ses Institutions divines, le théologien chrétien Lactance (m. 320) écrit ainsi que les démons ont accès à certaines connaissances de l’avenir, tout en précisant qu’il « ne leur est pas donné de connaitre exactement les dispositions divines, c’est pourquoi ils ont l’habitude de rendre leurs oracles en termes ambigus » (Livre II, 16.4).

Conclusion

Le récit coranique sur les démons un peu trop curieux qui se font chasser par des étoiles plonge ses racines dans de nombreuses traditions mythologiques du Proche-Orient. D’abord, les textes mésopotamiens qui mentionnent l’assemblée des dieux qui décident le destin des hommes à l’instar de l’assemblée céleste constituée des anges dans le Coran. Ensuite, nous avons vu le rôle des étoiles-soldats dans la mythologie perse, qui servent de rempart contre les forces du mal. Enfin, plusieurs auteurs juifs et chrétiens font la mention de démons qui tenteraient d’intercepter des informations célestes – bien que l’idée ne se retrouve pas dans les Écritures bibliques. Le Coran forme ainsi un amalgame de légendes et de mythes de diverses origines.

Références

1↑ Geneviève Gobillot, « Assemblée sublime », in Mohammad Ali Amir-Moezzi (ed.), Dictionnaire du Coran, Robert Laffont, 2007, p. 99.

2↑ Corinne Bonnet, « Divine Assembly », in Constance M. Furey et al. (eds.), Encyclopedia of the Bible and Its Reception, De Gruyter, 2013, vol. 6, p. 966.

3↑ Theodore Mullen, The Divine Council in Canaanite and Early Hebrew Literature, Harvard Semitic Monographs, 1980, p. 113.

4↑ Khalid Yahya Blankinship, « Court », in Jane Dammen McAuliffe (ed.), Encyclopedia of the Qur’an, Brill, 2001, vol. 1, p. 462.

5↑ Arthur Jeffery, The Foreign Vocabulary of the Qur’an, Brill, 2007 (1938), pp. 78-79.

6↑ Cette partie reprend et résume Patricia Crone, « QS32 Q37:6-11 », in Mehdi Azaiez et al. (eds.), The Qur’an Seminar Commentary / Le Qur’an Seminar: A Collaborative Study of 50 Qur’anic Passages / Commentaire Collaboratif De 50 Passages Coraniques, De Gruyter, 2017, pp. 307-308.

7↑ Sur l’origine préislamique des textes zoroastriens, voir Enrico G. Raffaeli, « Astrology and Religion in the Zoroastrian Pahlavi Texts », Journal Asiatique, vol. 305, 2017, passim et notamment p. 171.