Et Allâh créa Adam

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Contexte

Adam est le premier homme créé par Allâh, qui l’a placé sur terre comme son  « lieutenant » (khalîfa). Dans le Coran, la création d’Adam se fait en présence des  anges :

Lorsque ton Seigneur dit aux anges : « Je vais établir un lieutenant sur la terre », ils  dirent : « Vas-tu y établir quelqu’un qui fera le mal et qui répandra le sang, tandis que  nous célébrons tes louanges en te glorifiant et que nous proclamons ta sainteté ? » Le Seigneur dit : « Je sais ce que vous ne savez pas » (2:30). 

On peut remarquer dans ce passage que les anges expriment leur désapprobation  concernant la création de l’homme, en ayant connaissance à l’avance qu’il répandra le  mal sur la terre. Ce détail n’apparait pas dans la Bible, où les anges ne sont pas présents  au moment de la création d’Adam. Comme souvent, c’est dans les légendes et les textes  exégétiques postérieurs qu’il faut trouver la source du récit coranique, et dans ce cas  précis, dans le Talmud.

La source talmudique

Avant d’en venir à la source elle-même, il convient de faire un détour du côté des  Psaumes, où nous lisons le passage suivant : « À voir ton ciel, ouvrage de tes doigts, la  lune et les étoiles que tu fixas, qu’est-ce que l’homme pour que tu penses à lui, le fils  d’un homme, que tu en prennes souci ? » (Psaume 8:4-5). Comme le souligne  Gabriel S. Reynolds, certains exégètes juifs avaient fait l’hypothèse que ces paroles  étaient celles prononcées par les anges après que Dieu eut créé l’homme1. Cela les  conduisit à élaborer tout un narratif dans lequel Dieu et les anges dialoguent (comme  dans le Coran) au sujet de la création d’Adam. Nous lisons dans le texte talmudique le  dialogue suivant :

Lorsque le Tout-Puissant, béni soit-il, voulut créer l’homme, il créa [d’abord] une  assemblée d’anges serviteurs et leur dit : « Voulez-vous que nous fassions un homme à  notre image ? » Ils répondirent : « Souverain de l’univers, quels seront ses actes ? » « Telles seront ses actions », répondit-il. Alors, ils s’exclamèrent : « Souverain de  l’univers, que sont les hommes pour que tu aies une pensée pour eux, ou l’enfant d’Adam  pour que tu t’occupes de lui ? » Il étendit alors son petit doigt parmi eux et les consuma  par le feu. (b. Sanhedrin, 38n)

Dans ce dialogue, les anges interrogent Dieu concernant les actions futures de  l’homme. La réponse de Dieu n’est pas explicitée dans le texte, sans doute parce qu’elle  est trop évidente : Adam commettra le péché originel et sa descendance répandra le  mal et la corruption. Cela est confirmé par l’attitude dédaigneuse des anges qui  remettent en cause le bien-fondé de la décision de Dieu, qui en retour choisit de les  détruire. Le récit coranique reprend la trame générale de la version talmudique, bien  que certains aspects soient modifiés : 

i) Allâh et les anges échangent au sujet de la création de l’homme ; 

ii) Les anges ont connaissance du fait que l’homme répandra le mal. Le Coran ne  précise pas comment les anges ont acquis cette connaissance – il faut avoir en  tête la légende talmudique pour savoir que les anges avaient auparavant  questionné Dieu sur les actions de l’homme (ce qui suggère par ailleurs que le  public du Coran était familier de ce type de légende) ; 

iii) En réaction, les anges font part de leur opposition à la création d’Adam ; 

iv) Allâh rassure les anges en leur disant qu’Il sait ce qu’eux ne savent pas. Ici, le  texte coranique s’éloigne du Talmud où, on l’a vu, Dieu détruit purement et  simplement les anges contestataires. 

On profitera de ce dernier point pour faire un rappel utile : le fait qu’en plus des  similitudes, il existe aussi des différences entre le Coran et les textes antérieurs n’est  pas un argument contre le fait que le Coran s’inspire de légendes et de textes divers et  variés. En effet, les auteurs du Coran ont un rôle actif, en ce sens qu’ils ne se contentent  pas de reprendre de manière passive des éléments narratifs préexistants ; au contraire,  ils les adaptent et les recomposent pour les faire coller à leur propre point de vue. Il est  donc parfaitement normal de trouver un certain nombre de différences (à vrai dire,  c’est même l’inverse qui serait étonnant).

Références

1↑ Gabriel S. Reynolds, The Quran and the Bible: Text and Commentary, Yale University Press, 2018, p. 35.