Et Allâh créa Adam
Contexte
Adam est le premier homme créé par Allâh, qui l’a placé sur terre comme son « lieutenant » (khalîfa). Dans le Coran, la création d’Adam se fait en présence des anges :
Lorsque ton Seigneur dit aux anges : « Je vais établir un lieutenant sur la terre », ils dirent : « Vas-tu y établir quelqu’un qui fera le mal et qui répandra le sang, tandis que nous célébrons tes louanges en te glorifiant et que nous proclamons ta sainteté ? » Le Seigneur dit : « Je sais ce que vous ne savez pas » (2:30).
On peut remarquer dans ce passage que les anges expriment leur désapprobation concernant la création de l’homme, en ayant connaissance à l’avance qu’il répandra le mal sur la terre. Ce détail n’apparait pas dans la Bible, où les anges ne sont pas présents au moment de la création d’Adam. Comme souvent, c’est dans les légendes et les textes exégétiques postérieurs qu’il faut trouver la source du récit coranique, et dans ce cas précis, dans le Talmud.
La source talmudique
Lorsque le Tout-Puissant, béni soit-il, voulut créer l’homme, il créa [d’abord] une assemblée d’anges serviteurs et leur dit : « Voulez-vous que nous fassions un homme à notre image ? » Ils répondirent : « Souverain de l’univers, quels seront ses actes ? » « Telles seront ses actions », répondit-il. Alors, ils s’exclamèrent : « Souverain de l’univers, que sont les hommes pour que tu aies une pensée pour eux, ou l’enfant d’Adam pour que tu t’occupes de lui ? » Il étendit alors son petit doigt parmi eux et les consuma par le feu. (b. Sanhedrin, 38n)
Dans ce dialogue, les anges interrogent Dieu concernant les actions futures de l’homme. La réponse de Dieu n’est pas explicitée dans le texte, sans doute parce qu’elle est trop évidente : Adam commettra le péché originel et sa descendance répandra le mal et la corruption. Cela est confirmé par l’attitude dédaigneuse des anges qui remettent en cause le bien-fondé de la décision de Dieu, qui en retour choisit de les détruire. Le récit coranique reprend la trame générale de la version talmudique, bien que certains aspects soient modifiés :
i) Allâh et les anges échangent au sujet de la création de l’homme ;
ii) Les anges ont connaissance du fait que l’homme répandra le mal. Le Coran ne précise pas comment les anges ont acquis cette connaissance – il faut avoir en tête la légende talmudique pour savoir que les anges avaient auparavant questionné Dieu sur les actions de l’homme (ce qui suggère par ailleurs que le public du Coran était familier de ce type de légende) ;
iii) En réaction, les anges font part de leur opposition à la création d’Adam ;
iv) Allâh rassure les anges en leur disant qu’Il sait ce qu’eux ne savent pas. Ici, le texte coranique s’éloigne du Talmud où, on l’a vu, Dieu détruit purement et simplement les anges contestataires.
On profitera de ce dernier point pour faire un rappel utile : le fait qu’en plus des similitudes, il existe aussi des différences entre le Coran et les textes antérieurs n’est pas un argument contre le fait que le Coran s’inspire de légendes et de textes divers et variés. En effet, les auteurs du Coran ont un rôle actif, en ce sens qu’ils ne se contentent pas de reprendre de manière passive des éléments narratifs préexistants ; au contraire, ils les adaptent et les recomposent pour les faire coller à leur propre point de vue. Il est donc parfaitement normal de trouver un certain nombre de différences (à vrai dire, c’est même l’inverse qui serait étonnant).
Références
1↑ Gabriel S. Reynolds, The Quran and the Bible: Text and Commentary, Yale University Press, 2018, p. 35.