La chamelle d'Allâh
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La légende des Thamoud
Les Thamoud sont une ancienne tribu arabe installée au nord du Hedjaz, où ils jouaient probablement le rôle de gardes-frontières pour leurs alliés romains1. Leur existence est bien attestée dans les sources préislamiques. Les références les plus anciennes proviennent de textes assyriens du 8e siècle avant notre ère2. Ils sont également mentionnés par Pline l’Ancien (m. 79) et Ptolémée (m. 168), ainsi que dans une inscription du 2e siècle qui figure sur un temple dédié à l’empereur Marc Aurèle3. La tribu disparait quelques siècles avant l’islam pour des raisons qui ne sont pas totalement connues. Leur disparition faisait l’objet de nombreuses légendes dans le folklore arabe, à tel point « qu’il est aujourd’hui difficile de dire quoi que ce soit de concret à leur sujet »4. À plusieurs reprises, le Coran cite les Thamoud comme exemple des peuples châtiés par Allâh pour avoir rejeté Son message.
Et (Nous avons envoyé) aux Thamoud, leur frère Sâlih qui dit : « O mon peuple, adorez Allâh. Vous n’avez point de divinité en dehors de Lui […]. O mon peuple, voici la chamelle d’Allâh qu’Il vous a envoyée comme signe. Laissez-la donc paître sur la terre d’Allâh, et ne lui faites aucun mal sinon, un châtiment proche vous saisira ! » Ils la tuèrent. Alors, il leur dit : « Jouissez (de vos biens) dans vos demeures pendant trois jours (encore) ! Voilà une promesse qui ne sera pas démentie ». […] Et le Cri saisit les injustes. Et les voilà foudroyés dans leurs demeures, comme s’ils n’y avaient jamais prospéré. En vérité, les Thamoud n’ont pas cru en leur Seigneur. Que périssent les Thamoud ! (11 : 61-68)
D’après le récit, les Thamoud ont été détruits pour avoir tué la « chamelle d’Allâh ». Nous allons voir que la légende de la chamelle s’inspire du folklore arabe préislamique.
Les origines de la légende
La légende de la chamelle trouverait son origine dans une querelle entre les sédentaires qu’étaient les Thamoud, et les nomades qui vivaient de l’élevage de chameaux. Il y aurait eu un conflit de territoire entre les deux groupes débouchant sur la mise à mort d’une chamelle appartenant aux nomades. Or, un tel acte était considéré comme une abomination du point de vue des peuples nomades, en particulier au sein de la tradition arabe, où la chamelle fait figure d’« animal totémique »5. De là est né le récit mythique associant la disparition des Thamoud et le conflit territorial qu’ils eurent avec les bédouins. Avant l’islam, certains poètes arabes s’étaient déjà réappropriés le récit, en y introduisant une morale religieuse. Dans un récent article, Nicolai Sinai a mis en exergue un texte attribué à Umayya, un poète monothéiste contemporain du Prophète6.
La légende de la chamelle trouverait son origine dans une querelle entre les sédentaires qu’étaient les Thamoud, et les nomades qui vivaient de l’élevage de chameaux. Il y aurait eu un conflit de territoire entre les deux groupes débouchant sur la mise à mort d’une chamelle appartenant aux nomades. Or, un tel acte était considéré comme une abomination du point de vue des peuples nomades, en particulier au sein de la tradition arabe, où la chamelle fait figure d’« animal totémique »5. De là est né le récit mythique associant la disparition des Thamoud et le conflit territorial qu’ils eurent avec les bédouins. Avant l’islam, certains poètes arabes s’étaient déjà réappropriés le récit, en y introduisant une morale religieuse. Dans un récent article, Nicolai Sinai a mis en exergue un texte attribué à Umayya, un poète monothéiste contemporain du Prophète6.
Poème attribué à Umayya
Coran, sourate 91
Comme les Thamoud, qui se sont moqués avec arrogance de la religion (v. 23)
Les Thamūd, par leur transgression, ont crié au mensonge (v. 11)
Alors arriva sur elle [la chamelle] Ahmar, le maudit, [rapide] comme une flèche, avec une épée tranchante (v. 25)
Lorsque le plus misérable d’entre eux se leva [pour tuer la chamelle] (v. 12)
Il lui coupa le tendon et le jarret, et l’épée pénétra jusqu’à l’os et le brisa (v.26)
Ils [les Thamūd] la tuèrent (v. 14a)
Alors ils furent détruits (v. 30)
Leur Seigneur les détruisit donc (v. 14b)
Dans le tableau ci-dessous, nous remarquons une remarquable concordance entre les deux textes. S’il n’est pas possible d’affirmer avec certitude que le texte coranique s’inspire du poème attribué à Umayya (ou inversement), il apparait très probable qu’ils puisent l’un et l’autre dans le folklore arabe préislamique. ↑
Références
1↑ Jan Retsö, The Arabs in Antiquity : Their History from the Assyrians to the Umayyads, Routledge, 2003, p.506.
2↑ François Déroche, « Thamud » in Mohammad Ali Amir-Moezzi (ed.) Dictionnaire du Coran, Robert Laffont, 2007, p.869.
3↑ Reveun Firestone, « Thamud » in Jane Dammen McAuliffe (ed.) Encyclopaedia of the Qur’an, Brill, 2006, vol. 5, p.253.
4↑ Robert G. Hoyland, Arabia and the Arabs : From the Bronze Age to the coming of Islam, Routledge, 2001, p.224.
5↑ Jaroslav Stetkevych, Muhammad and the Golden Bough: Reconstructing Arabian Myth, Indiana University Press, 1996, pp. 61-62.
6↑ Nicolai Sinai, « Religious poetry from the Quranic milieu: Umayya b. Abī l-Ṣ alt on the fate of the Thamūd », Bulletin of the School of Oriental and African Studies, vol. 74 (3), 2011, pp. 397-416.