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Les compagnons de la caverne

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Introduction

La sourate 18 rapporte le rĂ©cit du sommeil miraculeux des compagnons de la caverne (18 : 9-26). L’histoire peut se rĂ©sumer ainsi : plusieurs jeunes compagnons, en nombre incertain, sont persĂ©cutĂ©s Ă  cause de leur foi en AllĂąh. Ils se retirent dans une caverne oĂč ils s’endorment durant 309 ans, alors que leur chien se trouve Ă  l’extĂ©rieur de la caverne oĂč il garde l’entrĂ©e. Pendant leur sommeil, AllĂąh retourne le corps des compagnons de droite Ă  gauche, semble-t-il pour les soustraire aux rayons du soleil. À leur rĂ©veil, les compagnons pensent avoir dormi seulement un jour, ou une partie d’un jour. Ils envoient l’un des leurs dans la ville afin de rapporter des vivres, mais finissent par ĂȘtre dĂ©couverts. Leur rĂ©cit tĂ©moigne de la rĂ©surrection des corps.

 Il est bien connu que le rĂ©cit des compagnons de la caverne est inspirĂ© de la lĂ©gende des Dormants d’ÉphĂšse, dont le lecteur pourra retrouver le texte intĂ©gral en cliquant sur ce lien. L’histoire se dĂ©roule Ă  ÉphĂšse, en Turquie actuelle, sous le rĂšgne de l’empereur DĂšce (249 – 251), marquĂ© par des persĂ©cutions contre les chrĂ©tiens. Plusieurs jeunes compagnons, gĂ©nĂ©ralement au nombre de sept, pourchassĂ©s Ă  cause de leur foi chrĂ©tienne, se rĂ©fugient Ă  l’intĂ©rieur d’une caverne. L’empereur, informĂ© de leur cachette, dĂ©cide de faire emmurer l’entrĂ©e de la caverne pour les y enfermer. Les jeunes plongent alors dans un long sommeil et se rĂ©veillent sous le rĂšgne de ThĂ©odose (408 – 450), alors que l’empire s’est converti au christianisme, en Ă©tant persuadĂ©s de n’avoir dormi qu’une seule nuit. Ils envoient l’un des leurs rapporter Ă  manger ; celui-ci est alors Ă©tonnĂ© de dĂ©couvrir sa ville devenue chrĂ©tienne. Il attire l’attention en voulant payer avec d’anciennes piĂšces de monnaie Ă  l’effigie de DĂšce. Les compagnons racontent leur histoire et sont reconnus par un vieux sage, et le miracle de leur rĂ©surrection ne tarde pas Ă  faire le tour du pays.

La dĂ©pendance du rĂ©cit du Coran vis-Ă -vis de la lĂ©gende des Dormants d’ÉphĂšse fait l’objet d’un remarquable consensus chez les spĂ©cialistes1. Sidney Griffith, auteur d’une Ă©tude devenue classique sur ce thĂšme, note ainsi « une coĂŻncidence remarquable de mots, d’expressions ou de dĂ©tails narratifs » entre le texte coranique et la lĂ©gende2. Il faut d’ailleurs souligner que les exĂ©gĂštes musulmans n’ignoraient pas qu’une histoire trĂšs similaire Ă  celle du Coran circulait parmi les chrĂ©tiens. Au contraire, ces derniers n’ont pas hĂ©sitĂ© Ă  puiser dans la lĂ©gende chrĂ©tienne afin d’enrichir leurs commentaires3. Le but de cet article sera de mettre en Ă©vidence les importantes similitudes entre le Coran et l’histoire des Dormants d’ÉphĂšse.

Origines et transmission de la légende

Il est aujourd’hui bien Ă©tabli que l’histoire des Dormants d’ÉphĂšse a vu le jour au 5e siĂšcle, d’abord sous la forme d’un conte oral. Elle fera bientĂŽt l’objet de nombreuses traductions qui lui assurent une large diffusion, au Proche-Orient aussi bien qu’en Europe. La plus ancienne connue Ă  ce jour est la version syriaque de l’évĂȘque Jacques de Saroug (m. 521). Il est suivi par l’historien franc GrĂ©goire de Tours (m. 594) qui produit la premiĂšre version latine. Le pĂšlerin Theodosius, qui visita le tombeau des dormants Ă  ÉphĂšse aux alentours de 530, Ă©voque Ă  son tour la lĂ©gende, quoique briĂšvement, dans son guide de pĂšlerinage De situe Terrae Sanctae4. On mentionnera Ă©galement le chroniqueur Denys de Tell-MahrĂ© (m. 845), s’appuyant lui-mĂȘme sur un Ă©crit syriaque du 5e siĂšcle5. Celui-ci n’a pas survĂ©cu, mais on possĂšde au total plus de 200 manuscrits en latin, grec, syriaque, arabe, Ă©thiopien, copte et armĂ©nien. Le plus ancien, Ă©crit en syriaque, est conservĂ© au musĂ©e de Saint-PĂ©tersbourg et date du 5e-6e siĂšcle6. Si l’anciennetĂ© de la lĂ©gende ne fait aucun doute, la question de son milieu d’origine a fait couler beaucoup d’encre. Selon la majoritĂ© des spĂ©cialistes, elle aurait Ă©tĂ© Ă©crite en grec vers 450 par Étienne d’ÉphĂšse, avant de se transmettre au monde oriental via la version qu’en donne Jacques de Saroug7.

L’histoire des dormants Ă©tait bien connue dans l’AntiquitĂ© grĂące aux nombreuses traductions dont elle fit l’objet. Elle circulait dĂ©jĂ  parmi les chrĂ©tiens arabophones prĂ©islamiques, aussi bien en Syrie-Jordanie qu’à Najran, au YĂ©men. Elle Ă©tait connue Ă©galement des moines syriaques, qui la mentionnaient dans leurs sermons8. Il existe donc de multiples voies de transmission pour expliquer comment la lĂ©gende s’est diffusĂ©e dans les milieux producteurs du Coran. Dans une Ă©tude stimulante, Thomas Eich a dĂ©montrĂ© que la version coranique de la lĂ©gende provient d’une source palestinienne9. Cependant, il n’est pas dit que cette source fĂ»t un texte Ă©crit. Plusieurs indices pointent en effet vers une source orale, plus proche des rĂ©cits populaires10. Michel Tardieu souligne Ă  ce titre que le rĂ©cit du Coran « reprĂ©sente la strate de la lĂ©gende la plus proche de l’environnement culturel paĂŻen oĂč elle a pris corps en tant que conte de tradition orale »11.

Une autre question pertinente consiste Ă  se demander pourquoi l’auteur de la lĂ©gende, quel qu’il soit, a choisi d’inventer cette histoire. En effet, la crĂ©ation d’un rĂ©cit est rarement un acte gratuit ; elle vise gĂ©nĂ©ralement Ă  satisfaire un besoin ou un objectif (politique, thĂ©ologique
) donnĂ©. Dans le cas des Dormants d’ÉphĂšse, le but Ă©tait de contrecarrer certains courants, Ă  l’intĂ©rieur du christianisme, qui niaient la rĂ©surrection des corps12. Plusieurs courants s’étaient en effet ralliĂ©s Ă  la position d’OrigĂšne (m. 253), un Ă©minent thĂ©ologien des premiers temps du christianisme, qui fut nĂ©anmoins condamnĂ© Ă  cause de certaines idĂ©es. On lui reprocha notamment d’avoir soutenu que seule l’ñme Ă©tait concernĂ©e par la rĂ©surrection, et non le corps, celui-ci ne pouvant rester inaltĂ©rĂ©13. Cette idĂ©e provoqua d’intenses dĂ©bats thĂ©ologiques et donna lieu Ă  ce qu’on appelle la « controverse origĂ©niste »14. Or, les idĂ©es d’OrigĂšne sur la rĂ©surrection Ă©taient revenues sur le devant Ă  la fin de l’AntiquitĂ©15. Une chronique syriaque du 5e siĂšcle signale par exemple la prĂ©sence d’un groupe « hĂ©rĂ©tique » qui niait la rĂ©surrection des corps16. Le risque de voir se multiplier ces courants hĂ©tĂ©rodoxes amena l’auteur des Dormants d’ÉphĂšse Ă  crĂ©er une histoire Ă©difiante pour prouver la prĂ©servation des corps des dormants durant leur sommeil sĂ©culaire et leur rĂ©surrection.

À ce titre, il est intĂ©ressant de noter qu’au 6e siĂšcle, le thĂ©ologien syriaque BabaĂŻ le grand n’hĂ©sitait pas Ă  citer l’exemple des dormants d’ÉphĂšse pour rĂ©futer ses adversaires qu’il accusait de nier la rĂ©surrection. Or, le rĂ©cit des compagnons de la caverne dans le Coran est prĂ©sentĂ© lĂ  encore comme une preuve de la rĂ©surrection des corps17. Cela tĂ©moigne des controverses sur la rĂ©surrection aux 6e et 7e siĂšcles dans un contexte chrĂ©tien arabophone ou plus largement syriaque18. La Chronique nestorienne mentionne par exemple l’existence Ă  la fin du 6e siĂšcle d’un groupe que son auteur nomme « hĂ©rĂ©sie des Arabes », dont les membres sont accusĂ©s de rejeter la rĂ©surrection19. Peut-on supposer que le rĂ©cit coranique leur Ă©tait spĂ©cifiquement adressĂ© ? La question reste entiĂšrement ouverte. Quoi qu’il en soit, il est intĂ©ressant de noter que les rĂ©dacteurs du Coran ont utilisĂ© le mĂȘme arsenal rhĂ©torique pour prouver la rĂ©surrection des corps que celui de leurs prĂ©dĂ©cesseurs syriaques20.

Un dernier point mĂ©rite d’ĂȘtre abordĂ© : celui des origines mythiques de l’histoire des Dormants d’ÉphĂšse – et par ricochet de sa version coranique. Les historiens ont soulignĂ© depuis longtemps que l’histoire « plonge ses racines dans un vieux fond mythologique »21. Elle emprunte en effet, nous y reviendrons, Ă  de nombreux thĂšmes qu’on rencontre dans le folklore du pourtour mĂ©diterranĂ©en. Loin de se limiter Ă  dresser les parallĂšles entre le rĂ©cit coranique et la lĂ©gende des Dormants d’ÉphĂšse, cet article a pour but d’explorer les sources mythologiques dont ils sont issus.

Le Coran et la lĂ©gende des Dormants d’ÉphĂšse

Les compagnons de la caverne

DĂ©butons notre analyse par les principaux protagonistes de l’histoire. Ils sont dĂ©signĂ©s dans le Coran et la lĂ©gende comme Ă©tant de jeunes compagnons. La version chrĂ©tienne prĂ©cise qu’il s’agissait de fils de bonne famille, gĂ©nĂ©ralement appelĂ©s par leurs prĂ©noms : Maximus, Malcus, Martinianus, Dyonisuis, Jean, SĂ©rapion et Constantin. Dans le Coran, en revanche, les compagnons sont anonymes et quasiment aucun dĂ©tail les concernant n’est donnĂ©22. Une autre similitude entre le Coran et la lĂ©gende est le fait que les compagnons soient persĂ©cutĂ©s Ă  cause de leur foi monothĂ©iste. Cependant, le Coran ne les identifie pas explicitement comme des chrĂ©tiens ; il se contente bien plutĂŽt de les dĂ©crire comme « des jeunes compagnons qui croyaient en leur Seigneur ». La tradition islamique les reprĂ©sente le plus souvent comme des « musulmans » qui suivaient la religion de JĂ©sus – c’est-Ă -dire l’islam. Le commentateur Ibn KathĂźr (m. 1373) avance de son cĂŽtĂ© que l’histoire se serait dĂ©roulĂ©e avant le christianisme, ce qui ne l’empĂȘche pas de situer la scĂšne sous le rĂšgne de l’empereur DĂšce, au beau milieu du 3e siĂšcle23.

Venons-en Ă  prĂ©sent au nombre de compagnons mentionnĂ©s dans la lĂ©gende : ces derniers sont gĂ©nĂ©ralement au nombre de sept – chiffre magique par excellence –, mais on Ă©voque aussi parfois quatre, voire huit compagnons. L’auteur coranique semble au courant des divergences qui existaient Ă  ce sujet :

Ils diront : « ils Ă©taient trois et le quatriĂšme Ă©tait leur chien ». Et ils diront en conjecturant sur leur mystĂšre qu’ils Ă©taient cinq, le sixiĂšme Ă©tant leur chien et ils diront : « sept, le huitiĂšme Ă©tant leur chien ». Dis : « Mon Seigneur connaĂźt mieux leur nombre. Il n’en est que peu qui le savent ».

Contrairement Ă  ce Ă  quoi l’on pourrait s’attendre, le Coran ne tranche pas sur la question. Toutefois, GeneviĂšve Gobillot a remarquĂ© un dĂ©tail fort intĂ©ressant : en additionnant les nombres Ă©voquĂ©s par le Coran dans ce passage (3 + 4 + 5 + 6 + 7 + 8), on parvient Ă  la somme de 33, qui correspond, d’aprĂšs la tradition chrĂ©tienne, Ă  l’ñge qu’avait JĂ©sus lors moment de sa mort et de sa rĂ©surrection24. Il est bien sĂ»r possible que cela soit une simple coĂŻncidence numĂ©rique, mais compte tenu de la forte affinitĂ© du rĂ©cit avec le thĂšme de la rĂ©surrection, il n’est pas Ă  exclure qu’on ait affaire Ă  un acte dĂ©libĂ©rĂ© de la part du ou des rĂ©dacteur(s) coranique(s).

Al-raqim : retour sur un terme énigmatique

Le Coran dĂ©bute le rĂ©cit en parlant des « compagnons de la caverne et d’al-raqim ». La signification du terme al-raqim, que nous avons laissĂ© volontairement en arabe, a Ă©chappĂ© aux exĂ©gĂštes musulmans et demeure aujourd’hui Ă©nigmatique. Les mufassirun ont en effet avancĂ© de nombreuses propositions sans aboutir au moindre consensus. Certains affirment qu’il s’agirait du nom du chien qui accompagnait les jeunes de la caverne. Pour d’autres, ce serait le nom de la caverne elle-mĂȘme, ou de la rĂ©gion dans laquelle elle se situe. D’autres encore affirment que le terme signifierait « l’inscription » ou « la tablette ». Al-Tabari (m. 923) commente Ă  ce propos :

La plus vraisemblable de ces indications Ă  propos ďal-raqim est qu’il dĂ©signe une tablette, ou une pierre ou quelque support d’un texte Ă©crit. Les chroniqueurs ont indiquĂ© qu’il s’agit d’une tablette sur laquelle ont Ă©tĂ© consignĂ©s les noms et l’histoire des gens de la caverne lorsqu’ils s’y rĂ©fugiĂšrent ; cette tablette, a-t-on ajoutĂ©, a Ă©tĂ© conservĂ©e dans la bibliothĂšque du roi, ou, selon une autre version, placĂ©e sur le seuil de la caverne25.

Nous reviendrons bientĂŽt sur cette derniĂšre interprĂ©tation. Pour l’heure, remarquons que les exĂ©gĂštes se trouvent dĂ©concertĂ©s face Ă  ce terme qu’ils ne comprennent manifestement et dont ils cherchent dĂ©sespĂ©rĂ©ment Ă  Ă©lucider le sens. Ceci illustre une nouvelle fois le fait, souvent rĂ©pĂ©tĂ© sur nos pages, qu’il existe une rupture entre les milieux producteurs du Coran et les milieux de rĂ©ception du texte26.

Du cĂŽtĂ© de la recherche coranique, il n’existe pas davantage de consensus quant Ă  la signification du terme. Une premiĂšre hypothĂšse est qu’il s’agirait d’un toponyme dĂ©signant la ville de PĂ©tra, l’ancienne capitale du royaume nabatĂ©en (en Jordanie actuelle). En examinant les inscriptions et les manuels de gĂ©ographie prĂ©islamiques, Mehdy Shaddel a cru pouvoir montrer que le nom sĂ©mitique de PĂ©tra Ă©tait RQM, ce qui correspond Ă  la racine trilitĂšre du terme al-raqim27. Toujours d’aprĂšs Shaddel, le Coran proposerait une version arabe de l’histoire des Dormants d’ÉphĂšse en resituant l’emplacement de la caverne Ă  PĂ©tra28. Bien que sĂ©duisante a priori, cette hypothĂšse soulĂšve quelques difficultĂ©s. En particulier, la ville de PĂ©tra avait Ă©tĂ© abandonnĂ©e par ses habitants Ă  cause du dĂ©clin du commerce caravanier qui faisait jadis sa richesse, et suite au tremblement de terre qui dĂ©truit la ville en 363. Les rĂ©fĂ©rences Ă  l’ancienne citĂ© caravaniĂšre s’amenuisent puis disparaissent complĂštement Ă  partir du 6e siĂšcle29. Dans ces conditions, il parait difficile d’expliquer la mention supposĂ©e de son nom dans le Coran.

James Bellamy a proposĂ© une interprĂ©tation toute diffĂ©rente : partant du fait que le texte du Coran nous est parvenu de maniĂšre altĂ©rĂ©e, il suggĂšre qu’il ne faut pas lire al-raqim mais bien plutĂŽt al-ruqĂ»d, qui signifie « dormeurs » ou « dormants »30. Ainsi corrigĂ©, le passage serait la traduction en arabe du nom sous lequel l’histoire des Dormants d’ÉphĂšse circulait dans l’AntiquitĂ©. Selon une derniĂšre hypothĂšse, s’appuyant sur les lexicographes arabes qui relient la racine r-q-m Ă  la notion d’écriture, le terme signifierait « inscription » ou « tablette »31. Souvenons-nous que c’était dĂ©jĂ  l’une des interprĂ©tations avancĂ©es par les mufassirun. Or, toutes les recensions de la lĂ©gende mentionnent bien une tablette sur laquelle avaient Ă©tĂ© inscrits les noms des compagnons32. C’est donc bien ainsi, semble-t-il, qu’il faut comprendre le sens d’al-raqim.

La caverne : lieu symbolique et mythique

Un autre point commun entre le rĂ©cit coranique et l’histoire des Dormants d’ÉphĂšse concerne naturellement l’endroit oĂč se dĂ©roule la scĂšne : la caverne. La plupart des versions la localisent Ă  ÉphĂšse, une citĂ© emblĂ©matique du paganisme antique, qui deviendra par ailleurs l’un des berceaux du christianisme. Aujourd’hui, la ville n’existe plus ; la population turque habite la citĂ© voisine de Selçuk et exploite la manne touristique de la fameuse caverne, qui attire de nombreux visiteurs aussi bien chrĂ©tiens que musulmans. Il s’agissait autrefois d’une grotte de Pan, le dieu barbu aux pattes de bouc. Les ÉphĂ©siens s’y rendaient pour emmurer vivante une jeune fille Ă  la virginitĂ© douteuse. Si le chant mĂ©lodieux de la flĂ»te de Pan rĂ©sonnait de la caverne, c’est qu’elle Ă©tait vierge, et donc sauvĂ©e. Sinon, ses cris trahissaient sa faute, et le dieu cornu s’occupait d’elle33.

La caverne n’est pas un dĂ©cor choisi au hasard par l’auteur de la lĂ©gende. Dans de nombreuses traditions, en GrĂšce antique, mais aussi au Proche-Orient, elle reprĂ©sente le lieu de la renaissance et de la rĂ©gĂ©nĂ©ration du hĂ©ros34. C’est aussi le lieu, par excellence, des expĂ©riences mystiques et initiatiques et de la rencontre entre l’homme et le divin35. C’est lĂ  que les poĂštes et les prophĂštes, investis du don de dieu, viennent trouver leur inspiration. Il n’est pas Ă©tonnant que de nombreux mythes et rĂ©cits miraculeux se dĂ©roulent Ă  l’intĂ©rieur d’une caverne. AprĂšs son sommeil de 57 ans dans une grotte, le jeune ÉpimĂ©nide devient un poĂšte accompli36. Muhammad reçoit sa premiĂšre rĂ©vĂ©lation alors qu’il effectue une retraite spirituelle dans la grotte al-Hira. De nombreux rĂ©cits de l’AntiquitĂ© mettent en scĂšne la rencontre miraculeuse entre un moine et un ange Ă  l’intĂ©rieur d’une caverne – Ă  ce titre, il n’est pas douteux que l’épisode de l’investiture prophĂ©tique de Muhammad soit inspirĂ© d’un tel rĂ©cit37. La caverne est Ă©galement un asile pour le hĂ©ros persĂ©cutĂ©. Dans la Bible, David se rĂ©fugie dans la caverne d’Adoullam pour fuir les soldats du roi SaĂŒl (1 Samuel 22 : 1). Certaines chroniques signalent qu’au 7e siĂšcle, des moines allaient se rĂ©fugier dans des grottes afin d’échapper aux attaques des bĂ©douins38. On pense Ă©galement au rĂ©cit bien connu dans lequel Muhammad trouve refuge dans une caverne pour Ă©chapper aux Qurayshites. C’est lĂ  qu’une araignĂ©e, d’aprĂšs la lĂ©gende, aurait tissĂ© une toile Ă  l’entrĂ©e de la caverne afin de dĂ©tourner les hommes qui voulaient s’en prendre au ProphĂšte39.

Revenons Ă  prĂ©sent Ă  la lĂ©gende qui nous intĂ©resse ici, Ă  savoir l’histoire des Dormants d’ÉphĂšse et ses ramifications dans le Coran. Plusieurs sources mythologiques ont Ă©tĂ© mises en lumiĂšre par les historiens. Un rĂ©cit lĂ©gendaire affirme par exemple que l’apĂŽtre Jean ne fut pas tuĂ© comme l’affirme la tradition, « mais qu’étant poursuivi par les habitants d’une certaine ville il monta sur la montagne et se cacha Ă  leurs regards et personne ne sut ce qu’il Ă©tait devenu » (Patrologia Orientalis t. VII). Comme le souligne David Sidersky, « la montagne mentionnĂ©e ici fait penser Ă  une caverne. D’autre part, la lĂ©gende de Jean se situe Ă  ÉphĂšse comme celle des dormeurs de la caverne »40. Ce rĂ©cit offre un parallĂšle intĂ©ressant avec l’histoire des Dormants d’ÉphĂšse car on y retrouve le thĂšme du hĂ©ros persĂ©cutĂ© pour sa foi, la caverne (ou la montagne) comme lieu de refuge et le dĂ©roulĂ© de l’action dans la citĂ© d’ÉphĂšse.

Michel Tardieu a en outre dĂ©montrĂ© que l’histoire des Dormants d’ÉphĂšse s’inspire fortement d’un mythe paĂŻen, celui de la caverne de l’AĂźon41. Dans la mythologie grecque, AĂźon est le dieu du temps infini qui rĂ©side dans la caverne de l’éternitĂ©. Au 4e siĂšcle, Claudien, poĂšte professionnel qui exerçait Ă  la cour d’Honorius, dĂ©crit la caverne du Temps dans un poĂšme dont nous proposons un extrait :

Dans une rĂ©gion lointaine et inconnue, inaccessible Ă  notre race, presque interdite aux dieux eux-mĂȘmes se trouve le sombre endroit d’oĂč sont issues les annĂ©es, la caverne de l’ÉternitĂ©, du sein de laquelle s’envolent les siĂšcles, et oĂč ils retournent. [
] La nature assise devant la porte, garde l’entrĂ©e [
]42.

Dans le Coran, mais aussi, comme nous le verrons, dans certaines versions chrĂ©tiennes de la lĂ©gende, la nature qui garde l’entrĂ©e de la caverne prend la forme d’un chien.

Le sommeil miraculeux

L’histoire des Dormants d’ÉphĂšse et le rĂ©cit coranique se rejoignent Ă©galement sur le sommeil miraculeux dans lequel tombent les protagonistes. En effet, aprĂšs s’ĂȘtre rĂ©fugiĂ©s dans la caverne, les compagnons plongent dans un sommeil qui dure plusieurs siĂšcles. Les mythologues rattachent ce rĂ©cit aux mythes des « hĂ©ros dormants » (sleeping heroes) qui abondent dans l’AntiquitĂ©43. Comme l’explique Elissa Henken, « ces hĂ©ros dormants sont souvent des hĂ©ros rĂ©dempteurs, que ce soit pour une nation ou pour un groupe religieux [
]. La lĂ©gende naĂźt souvent Ă  un moment oĂč un groupe qui possĂšde une conscience distincte de lui-mĂȘme se sent profondĂ©ment opprimĂ© par des Ă©trangers »44. Les exemples de « hĂ©ros dormants » sont nombreux dans l’espace indo-europĂ©en. On citera le roi Arthur, dont la lĂ©gende raconte le long sommeil sur l’üle d’Aval. Il n’est pas inutile de rappeler que le nom d’Arthur, « dans ses dĂ©rivĂ©s latin, gallois ou breton, renvoie toujours au grec arctos, qui dĂ©signe un ours, auquel la nature impose une hibernation cyclique dans une grotte »45. Il existe manifestement un fond mythologique trĂšs ancien, dans la culture indo-europĂ©enne, associant les thĂšmes du sommeil miraculeux et de la caverne Ă  un hĂ©ros rĂ©dempteur. Or, c’est ce fond mythologique qui a donnĂ© naissance Ă  la lĂ©gende des Dormants d’ÉphĂšse et, du mĂȘme coup, au rĂ©cit des compagnons de la caverne dans le Coran. La lĂ©gende connait en effet de nombreux antĂ©cĂ©dents, dont certains ont Ă©tĂ© fort bien Ă©tudiĂ©s par Pieter van der Horst dans une Ă©tude devenue classique46. Sans prĂ©tendre Ă  l’exhaustivitĂ©, nous allons prĂ©senter plusieurs de ces rĂ©cits mythiques prĂ©curseurs de la lĂ©gende des dormants et du Coran.

Un premier exemple nous est donnĂ© dans la Physique d’Aristote, qui explique :

Maintenant le temps n’existe pourtant pas sans le changement ; en effet, quand nous ne subissons pas de changements dans notre pensĂ©e, ou que nous ne les apercevons pas, il ne nous semble pas qu’il se soit passĂ© du temps ; c’est la mĂȘme impression qu’ont à leur rĂ©veil les gens qui, d’aprĂšs la fable, ont dormi Ă  Sardes auprĂšs des hĂ©ros : ils relient, en effet, l’instant d’avant Ă  celui d’aprĂšs et en font un seul, effaçant l’intervalle parce qu’il est vide de sensation47.

Dans ce passage, Aristote fait rĂ©fĂ©rence Ă  un mythe trĂšs ancien rapportĂ© par Diodore de Sicile (m. – 30) d’aprĂšs lequel la Sardaigne fut colonisĂ©e par les fils d’HĂ©raclĂšs et des Tespiades. À la mort des hĂ©ros, leur corps demeura intact, ce qui pouvait laisser croire qu’ils Ă©taient plongĂ©s dans un profond sommeil. Les Sardes qui allaient dormir Ă  proximitĂ© des tombes des hĂ©ros tombaient eux aussi dans un long sommeil. Un dĂ©tail intĂ©ressant est qu’à leur rĂ©veil, rapporte Aristote, les Sardes n’ont pas conscience du temps passĂ©, « effaçant l’intervalle ». Cela n’est pas sans rappeler la remarque d’un des compagnons, dans le Coran, qui dit Ă  ses camarades : « Nous avons demeurĂ© un jour ou une partie d’un jour ». Nous aurons bientĂŽt l’occasion d’y revenir. Un autre rĂ©cit de sommeil miraculeux est attribuĂ© Ă  ÉpimĂ©nide, que nous avons dĂ©jĂ  mentionnĂ©. Le poĂšte DiogĂšne LaĂ«rce (m. 240) nous en livre le portrait suivant :

Il Ă©tait originaire de Gnosse, en CrĂšte ; mais comme il laissait croĂźtre ses cheveux, contrairement Ă  l’usage de sa patrie, il ne paraissait pas ĂȘtre de ce pays. Son pĂšre l’ayant un jour envoyĂ© aux champs chercher une brebis, il s’Ă©carta du chemin, sur le midi, et entra dans une caverne oĂč il dormit cinquante-sept ans. À son rĂ©veil, il se mit Ă  chercher autour de lui sa brebis, croyant n’avoir dormi que peu de temps, et, ne la trouvant pas, il retourna aux champs. Tout y avait changĂ© de face ; la propriĂ©tĂ© avait passĂ© en d’autres mains. ÉtonnĂ©, hors de lui, il revient Ă  la ville ; il entre chez lui et trouve des gens qui lui demandent qui il est. Enfin il rencontre son plus jeune frĂšre, dĂ©jĂ  vieux, et apprend de lui toute la vĂ©ritĂ©48.

PrĂ©cisons que ce rĂ©cit fut accueilli avec scepticisme par de nombreux auteurs grecs comme Pline l’Ancien (m. 79), qui le qualifie de « fable » dans son Histoire naturelle49. Un autre mythe important pour notre sujet figure dans un texte pseudĂ©pigraphique50 du 2e siĂšcle, les ParalipomĂšnes de JĂ©rĂ©mie (Ă©galement appelĂ©es 4 Baruch). Le texte raconte la destruction de JĂ©rusalem par les ChaldĂ©ens, Ă  laquelle le hĂ©ros AbimĂ©lec assiste impuissant. Le rĂ©cit se poursuit ainsi :

AbimĂ©lec, quant Ă  lui, a pris les figues sous un soleil brĂ»lant, alors quand il a trouvĂ© un arbre, il s’est assis sous son ombre pour se reposer un peu. Et quand il posa sa tĂȘte sur le panier de figues, il s’endormit, s’endormant pendant soixante-six ans sans se rĂ©veiller de son sommeil. Et puis, se levant de son sommeil, il a dit : « J’ai dormi Ă  l’aise pendant un moment, mais ma tĂȘte est lourde parce que je n’ai pas Ă©tĂ© satisfait de mon sommeil. » Puis, dĂ©couvrant le panier de figues, il les trouva distillant du lait. Et il dit : « J’aimerais dormir encore un peu, parce que ma tĂȘte est lourde ; mais j’ai peur de m’endormir et de me rĂ©veiller tard et que mon pĂšre JĂ©rĂ©mie me mĂ©prise [
]. Alors, je me lĂšverai et je marcherai sous le soleil brĂ»lant [
]. Il se leva donc, prit le panier de figues, le jeta sur ses Ă©paules et se dirigea vers JĂ©rusalem, mais il ne la reconnut pas, — ni sa maison, ni sa propre place —, ni ne trouva sa propre famille, ni aucune de ses connaissances.

Ce rĂ©cit produit lui aussi la figure d’un « hĂ©ros dormant » qui, Ă  la suite d’un trĂšs long sommeil, a visiblement l’impression d’avoir fait une courte sieste. Cela se rapproche une nouvelle fois du passage coranique que nous avons dĂ©jĂ  mentionnĂ© oĂč l’un des compagnons affirme avoir dormi seulement un jour. Un autre Ă©lĂ©ment notable est qu’à son rĂ©veil, AbimĂ©lec, Ă  l’image des dormants de notre lĂ©gende, trouve sa ville transformĂ©e au point qu’il ne la reconnait pas immĂ©diatement. Le lien entre les deux histoires est par ailleurs renforcĂ© par une priĂšre grecque dans laquelle nous lisons : « C’est ainsi que tu as autrefois visitĂ© ton serviteur AbimĂ©lec dans le temple d’Agrippa et que tu l’as plongĂ© dans un sommeil consolateur [
]. De mĂȘme, pendant les jours du roi apostat DĂšce, tu as glorifiĂ© les sept enfants, confesseurs et tĂ©moins de ta venue »51. Ajoutons pour terminer que la lĂ©gende d’AbimĂ©lec est prĂ©sente dans un autre passage du Coran qui mentionne notamment l’anecdote des fruits restĂ©s intacts malgrĂ© les annĂ©es passĂ©es52.

Le Talmud n’est pas en reste de ce type de rĂ©cits miraculeux. Une lĂ©gende raconte l’histoire suivante au sujet du sage Choni, qui vĂ©cut au 1er siĂšcle :

Un jour qu’il marchait sur la route, il vit un homme qui plantait un caroubier et lui demanda : « Combien de temps faut-il Ă  cet arbre pour porter des fruits ? » L’homme rĂ©pondit : « Soixante-dix ans. » Choni lui demande alors : « Es-tu sĂ»r de vivre encore soixante-dix ans ? ». L’homme rĂ©pondit : « J’ai trouvĂ© des caroubiers dĂ©jĂ  plantĂ©s dans la terre, et comme mes ancĂȘtres les ont plantĂ©s pour moi, je les plante aussi pour mes enfants. » Puis il se mit Ă  manger et le sommeil le gagna. Pendant qu’il dormait, une haie de rochers l’entoura et le cacha Ă  la vue de tous. Il dormit ainsi pendant soixante-dix ans. Lorsqu’il se rĂ©veilla, il vit un homme qui cueillait les fruits du caroubier et il lui demanda : « Es-tu celui qui a plantĂ© cet arbre ? ». L’homme rĂ©pondit : « Je suis son petit-fils. » Choni dit alors : « Il est certain que j’ai dormi soixante-dix ans ! »53.

Citons pour terminer la lĂ©gende du jeune berger Endymion. Celui-ci, qu’on disait d’une grande beautĂ©, avait inspirĂ© une violente passion Ă  la dĂ©esse de la lune, SĂ©lĂ©nĂ©. L’amant de cette derniĂšre, Zeus, plongea Endymion dans un sommeil perpĂ©tuel accompagnĂ© de son chien dans la caverne du mont Latmos, non loin d’ÉphĂšse, oĂč il demeura Ă©ternellement jeune.

On le voit, le thĂšme du sommeil miraculeux apparait de façon rĂ©currente dans la littĂ©rature de l’AntiquitĂ©. L’histoire des Dormants d’ÉphĂšse n’en est Ă  ce titre qu’une variante locale. Plusieurs des rĂ©cits que nous avons mentionnĂ©s prĂ©sentent un grand intĂ©rĂȘt pour nous car ils contiennent plusieurs ingrĂ©dients de la lĂ©gende des dormants : i) le hĂ©ros est plongĂ© dans un sommeil d’une durĂ©e anormalement longue ; ii) son corps est miraculeusement prĂ©servĂ© des affres du temps ; iii) Ă  son rĂ©veil, il a une perception erronĂ©e du temps qui s’est Ă©coulĂ© ; iv) le lieu de son sommeil est gĂ©nĂ©ralement – mais pas toujours – une caverne.

Le temps resté dans la caverne

ArrĂȘtons-nous Ă  prĂ©sent sur une autre question dĂ©terminante de l’histoire des dormants. Toutes les versions du rĂ©cit s’accordent sur le fait que les compagnons sont restĂ©s endormis pendant un grand nombre d’annĂ©es, mais la durĂ©e exacte de leur sommeil fait l’objet de divergences. Jacques de Saroug indique dans son sermon 372 ans (ou 350 selon une seconde recension). Jean d’ÉphĂšse Ă©voque pour sa part « deux-cents ans, plus ou moins »54. La version du Pseudo-Zacharie parle de 188 ans. De son cĂŽtĂ©, le Coran nous dit ceci : « ils demeurĂšrent dans leur caverne trois cents ans et en ajoutĂšrent neuf (annĂ©es) ». Griffith explique que ces diffĂ©rences entre les versions sont liĂ©es au fait qu’on ne savait pas calculer de maniĂšre trĂšs prĂ©cise Ă  l’époque le temps qui s’était Ă©coulĂ© entre le rĂšgne de DĂšce (249 – 251) et celui de ThĂ©odose (408 – 450)55. GrĂ©goire de Tours, au courant des dĂ©saccords entre les versions, Ă©crit Ă  ce propos : « Qu’ils aient dormi 377 ans, comme on le dit, la chose peut ĂȘtre douteuse, puisqu’ils ressuscitĂšrent l’an du Seigneur 418. Or DĂšce rĂ©gna seulement un an et trois mois, en l’an 252 ; ainsi, ils ne dormirent que cent quatre-vingt-seize ans ». En fait, l’écart est de 199 ans. GrĂ©goire et Jean d’ÉphĂšse en sont donc trĂšs proches. Les versions de Jacques de Saroug (372 ans) et du Coran (309 ans), en revanche, s’en Ă©cartent nettement. Le Coran, en rĂ©alitĂ©, reprend Ă  son compte la version des chrĂ©tiens melkites, qui mentionnent une durĂ©e de 309 ans56. Cependant, ce chiffre Ă©tait pour eux avant tout symbolique : il correspond, dans certains textes syriaques, Ă  l’annĂ©e de naissance de JĂ©sus, calculĂ©e d’aprĂšs l’ùre d’Alexandre le Grand selon un calendrier encore en usage dans certaines rĂ©gions57.

La présence du chien

D’aprĂšs la version coranique de la lĂ©gende, les jeunes de la caverne Ă©taient accompagnĂ©s d’un chien qui gardait l’entrĂ©e de la caverne : « Et Nous les tournons sur le cĂŽtĂ© droit et sur le cĂŽtĂ© gauche, tandis que leur chien est Ă  l’entrĂ©e, pattes Ă©tendues » (18 : 18). La prĂ©sence du chien dans le rĂ©cit du Coran a de quoi surprendre Ă  plus d’un titre. D’une part, il joue ici un rĂŽle positif alors qu’il est considĂ©rĂ© en rĂšgle gĂ©nĂ©rale par la tradition musulmane postĂ©rieure comme impur et indĂ©sirable58. D’autre part, le chien est absent des autres versions Ă©crites de la lĂ©gende. Jacques de Saroug, par exemple, Ă©voque simplement « un ange pour garder leurs membres ». Sidney Griffith suggĂšre que l’ange gardien mentionnĂ© par l’évĂȘque de Saroug serait devenu un chien de garde dans la version du Coran59. L’hypothĂšse est thĂ©oriquement possible, mais il existe une explication beaucoup plus simple Ă  la prĂ©sence du chien dans le rĂ©cit coranique. Le motif du chien gardant l’entrĂ©e de la caverne est en effet bel et bien prĂ©sent dans certaines versions de la lĂ©gende. Theodosius, que nous avons dĂ©jĂ  mentionnĂ©, en rapporte une version orale qui fait mention du chien des compagnons, dont le nom, paraĂźt-il, Ă©tait Viricanus60. Dans la tradition musulmane, le chien est connu sous le nom de kitmĂźr, du grec kimitĂ­rion (ÎșÎżÎčÎŒÎ·Ï„ÎźÏÎčÎżÎœ) qui signifie « dortoir » mais Ă©galement « cimetiĂšre »61. Le chien des compagnons est le seul animal admis Ă  entrer au paradis. Sur ce point, les thĂ©ologiens musulmans ont pu ĂȘtre influencĂ©s par les traditions indo-iraniennes62.

Il semble que le chien soit Ă©voquĂ© dans les versions plus anciennes de la lĂ©gende, celles des rĂ©cits populaires, qui Ă©taient souvent enrichies d’élĂ©ments magiques63. On en a encore la preuve dans une amulette retrouvĂ©e en Égypte et datant au plus tard du 5e siĂšcle. Il s’agit d’une bande de papyrus qui contient une priĂšre contre la maladie et associe le chien aux dormeurs : « Devant la patte du chien
 et [par l’intercession] des martyrs qui ont tĂ©moigné  Sabbatios, Probatios, Stephanos, Kuriakos, prĂ©serve ta servante de toute maladie et tu la dĂ©livreras de toute maladie de l’ñme par le nom du Seigneur. RĂ©demption du Dieu vivant »64. Les recensions (chrĂ©tiennes) ultĂ©rieures de la lĂ©gende ont Ă©liminĂ© la prĂ©sence du chien pour des raisons dogmatiques Ă©videntes : les animaux Ă©tant exclus du salut, ils ne sauraient ressusciter65.

La prĂ©sence du chien comme gardien des dormants dans le Coran s’explique par les mythes et les symboles qu’on associait Ă  l’animal durant l’AntiquitĂ©. Dans le paganisme ancien, le chien occupe le seuil entre la vie et la mort66, ce qui correspond Ă  la situation des compagnons durant leur sommeil. Chez les Grecs, cette fonction est symbolisĂ©e par CerbĂšre, le chien de HadĂšs, et gardien de la porte des enfers67. Lorsque ThĂ©sĂ©e se retrouve sur la chaise de l’Oubli, gardĂ©e par CerbĂšre, il se retrouve figĂ©, incapable de bouger, ce qui n’est pas sans rappeler la situation des compagnons dans la caverne. Le chien est Ă©galement le symbole de la dĂ©esse HĂ©cate, qui reprĂ©sente la caverne qui permet de rĂ©gĂ©nĂ©rer le temps et la vie68. Chez les zoroastriens, le rituel funĂ©raire du sagdĂźd (littĂ©ralement : « regard du chien ») voulait qu’un dĂ©funt soit considĂ©rĂ© comme mort seulement aprĂšs qu’un chien eut jetĂ© son regard sur son cadavre, mettant en fuite le dĂ©mon de la corruption du cadavre69. Le chien garde aussi l’entrĂ©e du pont de Cinwad par lequel, dans la religion perse, les Ăąmes transitent vers le royaume des morts70.

Dans une Ă©tude stimulante, GeneviĂšve Gobillot a pu montrer que la prĂ©sence du chien dans le rĂ©cit coranique est « un hĂ©ritage des traditions d’origine Ă©gyptienne, qui Ă©taient rĂ©pandues autour de la MĂ©diterranĂ©e »71. Dans la mythologie Ă©gyptienne, Anubis est le protecteur et gardien des corps momifiĂ©s en attente de la rĂ©surrection72. Il est reprĂ©sentĂ© le plus souvent sous la forme d’un chien allongĂ© sur le ventre, les pattes en avant, ce qui correspond exactement Ă  la position du chien dans le rĂ©cit coranique73. Notons Ă©galement que le Coran semble Ă©tablir un lien entre le chien et la rĂ©surrection des dormants, dont les corps sont retournĂ©s sur leur droite puis sur leur corps durant leur sommeil. Or, comme le note Gobillot, « il s’agit prĂ©cisĂ©ment de la position d’Anubis, gardien des tombeaux, qui sĂ©journait sur le seuil en retournant les morts Ă  droite et Ă  gauche pour conserver leurs corps »74. Dans la prochaine partie, nous allons justement nous pencher sur la question de la rĂ©surrection des dormants, ce qui sera l’occasion de mettre en lumiĂšre d’autres parallĂšles entre le Coran et certains thĂšmes de la mythologie Ă©gyptienne.

La résurrection

AprĂšs leur long sommeil, les compagnons se rĂ©veillent l’air de rien en ayant l’impression d’avoir dormi trĂšs peu de temps. Ce thĂšme, qui Ă©voque bien sĂ»r la rĂ©surrection des dormants, figure dans toutes les versions de la lĂ©gende. C’est d’ailleurs, nous l’avons vu, la raison d’ĂȘtre du rĂ©cit : prouver la rĂ©alitĂ© de la rĂ©surrection des corps. Cependant, la version coranique s’écarte de la chrĂ©tienne sur le dĂ©tail suivant : la caverne n’y est apparemment pas murĂ©e, permettant Ă  la lumiĂšre du soleil de pĂ©nĂ©trer Ă  l’intĂ©rieur. Le Coran prĂ©cise en effet : « Tu aurais vu le soleil, quand il se lĂšve, s’écarter de leur caverne vers la droite, et quand il se couche, passer Ă  leur gauche, tandis qu’eux-mĂȘmes sont lĂ  dans une partie spacieuse ». Le texte se poursuit ainsi : « Et Nous les tournons sur le cĂŽtĂ© droit et sur le cĂŽtĂ© gauche, tandis que leur chien est Ă  l’entrĂ©e, pattes Ă©tendues ». Plusieurs Ă©lĂ©ments mĂ©ritent d’ĂȘtre relevĂ©s. PremiĂšrement, la preuve de la rĂ©surrection des compagnons dans le Coran est d’ordre cosmologique : elle se fait par la soustraction des corps aux rayons du soleil, Ă©vitant ainsi la putrĂ©faction des chairs75. Dans la version chrĂ©tienne, la preuve est avant tout architecturale : la caverne, cloisonnĂ©e par le mur, fait penser au tombeau du Christ, lieu de sa rĂ©surrection d’aprĂšs la tradition chrĂ©tienne. DeuxiĂšmement, la rĂ©surrection des dormants est liĂ©e, comme nous l’avons dĂ©jĂ  vu, au retournement de leurs corps sur le cĂŽtĂ© gauche, puis sur le cĂŽtĂ© droit. Cette valse des corps rappelle fortement le processus de rĂ©veil des morts dĂ©crit dans les Textes des Pyramides. Ces Ă©crits, gravĂ©s Ă  mĂȘme la paroi des pyramides, constituent les plus anciens textes funĂ©raires de l’humanitĂ©. On peut y lire les passages suivants : « LĂšve-toi de son cĂŽtĂ© gauche et va sur son cĂŽtĂ© droit », ou encore « Ô mon pĂšre N, redresse-toi sur ta gauche, (puis) tourne-toi sur ta droite, vers l’eau nouvelle que je t’ai donnĂ©e ! Ô mon pĂšre N, redresse-toi sur ta gauche, (puis) tourne-toi sur ta droite, vers le pain que je t’ai prĂ©parĂ© »76. De toute Ă©vidence, il n’est pas possible de postuler ici une influence directe des Textes des Pyramides sur le Coran. Les similitudes que l’on remarque entre les deux corpus s’expliquent par la survivance de certains thĂšmes religieux de l’Égypte ancienne dans la littĂ©rature religieuse du Proche-Orient, et tout particuliĂšrement dans la littĂ©rature copte.

Le Coran partage un autre trait avec les autres versions de la lĂ©gende : Ă  leur rĂ©veil, les compagnons ont une perception erronĂ©e du temps et pensent avoir dormi une seule nuit. Le Coran rapporte que certains compagnons auraient dĂ©clarĂ© : « Nous avons demeurĂ© un jour ou une partie d’un jour ». La remarque des compagnons fait Ă©cho Ă  la doctrine du sommeil des Ăąmes selon laquelle, en attendant la rĂ©surrection, l’ñme des dĂ©funts est plongĂ©e dans un Ă©tat d’inconscience et sera rĂ©veillĂ©e avec l’impression de qu’un court laps de temps s’est Ă©coulĂ©. On retrouve cette doctrine Ă  plusieurs reprises dans le Coran : « Et le jour oĂč Il les rassemblera, ce sera comme s’ils n’Ă©taient restĂ©s [dans leur tombeau] qu’une heure du jour » (10 : 45, voir aussi 17 : 52 ; 20 : 103). La doctrine du sommeil des Ăąmes a Ă©tĂ© dĂ©veloppĂ©e par les thĂ©ologiens syriaques comme Aphraate, le Sage persan (m. 345), et bien qu’elle fĂ»t dĂ©noncĂ©e comme hĂ©rĂ©tique par l’Église, elle Ă©tait toujours prĂ©valente Ă  la fin de l’AntiquitĂ©77.

Remarques finales

Au terme de notre analyse, nous pouvons dresser plusieurs conclusions. PremiĂšrement, le rĂ©cit coranique des « compagnons de la caverne » est sans conteste la reprise de la lĂ©gende des Dormants d’ÉphĂšse. Les similitudes, comme on l’a vu, sont trop nombreuses et prĂ©cises pour envisager le texte coranique comme un rĂ©cit indĂ©pendant. Le tableau ci-dessous permet de visualiser les correspondances dans la trame narrative et les dĂ©tails de chacun des rĂ©cits :

LĂ©gende des Dormants d’ÉphĂšse


(1) Les protagonistes sont décrits comme des « jeunes » et des « compagnons »

(2) Les compagnons sont persécutés à cause de leur foi au Dieu unique

(3) Ils se réfugient dans une caverne

(4) La caverne est emmurĂ©e sur ordre de l’empereur

(5) Les compagnons plongent dans un long sommeil

(6) Ils se rĂ©veillent avec l’impression d’avoir dormi trĂšs peu de temps

(7) Ils envoient l’un des leurs en ville pour rapporter des vivres

(8) Ils sont reconnus par les gens de la ville et leur histoire tient lieu de preuve de la résurrection

Les « compagnons de la caverne », Coran

(1) Les protagonistes sont décrits comme des « jeunes » et des « compagnons » 

(2) Les compagnons sont persécutés à cause de leur foi au Dieu unique

(3) Ils se réfugient dans une caverne

(4) L’entrĂ©e de la caverne n’est pas emmurĂ©e, laissant pĂ©nĂ©trer les rayons du soleil

(5) Les compagnons plongent dans un long sommeil

(6) Ils se rĂ©veillent avec l’impression d’avoir dormi trĂšs peu de temps

(7) Ils envoient l’un des leurs en ville pour rapporter des vivres

(8) Ils sont reconnus par les gens de la ville et leur histoire tient lieu de preuve de la résurrection

Si les deux rĂ©cits prĂ©sentent des similitudes indĂ©niables, et dans certains cas impressionnantes, on trouve Ă©galement quelques divergences comme l’obstruction de l’entrĂ©e de la caverne qui n’est pas mentionnĂ©e dans le Coran. Mais comme on l’a vu, des diffĂ©rences narratives se trouvent dans toutes les versions de la lĂ©gende, qu’elles soient dues aux alĂ©as de sa transmission, ou Ă  la libertĂ© Ă©ditoriale de leur auteur – le Coran ne faisant guĂšre exception. La version coranique se distingue toutefois des autres versions par sa briĂšvetĂ©78. Le Coran, comme souvent dans les histoires qu’il raconte, fait l’économie de dĂ©tails jugĂ©s superflus : aucune date, ni aucun nom n’est mentionnĂ©, et la plupart des sĂ©quences narratives, qui sont dĂ©veloppĂ©es longuement dans les versions chrĂ©tiennes, y sont rĂ©sumĂ©es de maniĂšre trĂšs concise. Cela suppose que le public auquel s’adressaient les rĂ©dacteurs du texte connaissait dĂ©jĂ  ces histoires, de telle sorte qu’il n’était point besoin d’y revenir en dĂ©tail. Le Coran se contente d’en donner la morale. Ainsi, l’histoire des compagnons de la caverne se donne Ă  lire comme une courte homĂ©lie arabe sur la rĂ©surrection79.

DeuxiĂšmement, nous avons montrĂ© que la lĂ©gende des dormants plongeait ses racines dans un fond mythologique. Son auteur, sans doute originaire de l’antique citĂ© d’ÉphĂšse ou de ses environs, a puisĂ© dans le folklore local pour fabriquer son histoire. On retrouve, comme nous l’avons vu, de nombreux thĂšmes rĂ©currents de la mythologie indo-europĂ©enne : le hĂ©ros dormant plongĂ© dans un sommeil sĂ©culaire, la caverne comme lieu de la rĂ©gĂ©nĂ©ration, etc. La lĂ©gende des Dormants d’ÉphĂšse n’est pas nĂ©e Ă  partir de rien ; elle apparait comme un patchwork, un assemblage de rĂ©cits mythiques et de fables en tous genres. Pour reprendre le concept forgĂ© par Claude-LĂ©vi Strauss, la lĂ©gende est un « bricolage », que son auteur a construit Ă  partir d’élĂ©ments recyclĂ©s de son environnement80. La mĂȘme chose peut ĂȘtre dite du Coran, qui en plus de recycler la lĂ©gende des dormants, y rajoute des Ă©lĂ©ments issus de son milieu proche-oriental Ă  l’image du chien. Cela rappelle la remarque pertinente du mythologue Stith Thompson selon laquelle « il est toujours plus facile d’emprunter un mythe ou un conte que d’en fabriquer un »81.

Une derniĂšre observation concerne le problĂšme de l’authenticitĂ© du rĂ©cit. Les faits rapportĂ©s par la lĂ©gende ne transcrivent pas un Ă©vĂ©nement rĂ©el mais une fiction littĂ©raire créée Ă  partir d’un « bricolage ». Or, comme le note avec justesse Gobillot, « le Coran envisage ce rĂ©cit comme Ă©tant historique et non pas simplement allĂ©gorique, contrairement aux religieux chrĂ©tiens qui l’avaient diffusĂ© au dĂ©part »82. Dans le Coran, l’histoire des dormants est introduite par une formule qui insiste sur sa vĂ©racitĂ© : « Nous allons te raconter leur rĂ©cit en toute vĂ©ritĂ© ». Le mot arabe rendu ici par « vĂ©ritĂ© » est haqq, qui apparait 287 fois dans le Coran. Selon Mohammed Arkoun, ce terme renvoie Ă  la notion de « RĂ©el-vrai » par opposition au « faux » (bĂątil) :

Raconter une histoire avec vĂ©ritĂ©, c’est donc nĂ©cessairement l’inscrire dans l’espace ontologique du RĂ©el-vrai : les personnages, les conduites, les lieux, les propos Ă©changĂ©s sont tous vrais Ă  la lettre. Dieu ne peut se servir de fables ou de fictions pour dĂ©voiler Ses mystĂšres et enseigner Ses volontĂ©s83.

Évidemment, les choses deviennent plus compliquĂ©es lorsque le « RĂ©el-vrai » est en fait une fiction littĂ©raire de l’AntiquitĂ©.

Références

1↑ Voir en particulier Sidney Griffith, « Christian lore and the Arabic Qur’ān: the “Companions of the Cave” in SĆ«rat al-Kahf and in Syriac Christian tradition », in Gabriel Said Reynolds (eds.), The Quran in Its Historical Context, Routledge, 2007, pp. 109-137 ; Michael Huber, Die Wanderlegende von den SiebenschlĂ€fern, Harrassowitz, 1910 ; Bernard Heller, « ÉlĂ©ments, parallĂšles et origine de la lĂ©gende des Sept Dormants », Revue des Ă©tudes juives, vol. 49, 1904, pp. 190-218.

2↑ Sidney Griffith, art. cit., p. 110.

3↑ Ibid, p. 130.

4↑ Pour le texte latin, voir Theodosius, De situ Terrae sanctae, ed. Paulus Geyer (Itinera hierosolymitana saecvli IV-VIII), F. Tempsky, 1898.

5↑ GeneviĂšve Gobillot, « Gens de la Caverne », in Mohammad Ali Amir-Moezzi (ed.), Dictionnaire du Coran, Robert Laffont, 2007, pp. 362-363.

6↑ Marco Tondello, « The Story of the Sleepers of Ephesus according to the Oldest Extant Text: Manuscipt N.S.S.4 », The journal of Eastern Christian studies, vol. 71 (1-2), 2019, pp. 29-92.

7↑ Paul Peeters, « Le texte original de la Passion des Sept Dormants », Analecta Bollandiana, vol. 41, 1923, pp. 369-385 ; Ernst Honigmann, « Stephen of Ephesus (April 15, 448 – Oct. 29, 451) and the Legend of the Seven Sleepers », Patristic Studies, Biblioteca Apostolica Vaticana, 1953 (Studi e Testi, 173), pp. 125-168.

8↑ Sidney Griffith, art. cit., pp. 121-122.

9↑ Thomas Eich, « Muáž„ammad und CĂŠdmon und die SiebenschlĂ€ferlegende. Zur Verbindung zwischen PalĂ€stina und Canterbury im 7. Jahrhundert », Der Islam, vol. 100 (1), 2023, pp. 7-39.

10↑ Guillaume Dye, « QS 20 Q18:9 – 26) », in Mehdi Azaiez, Gabriel Said Reynolds, Tommaso Tesei & Hamza M. Zafer (eds.), The Qur’an Seminar Commentary / Le Qur’an Seminar: A Collaborative Study of 50 Qur’anic Passages / Commentaire collaboratif de 50 passages coraniques, De Gruyter, 2017, pp. 215-216.

11↑ Michel Tardieu, « Les Sept Dormants : Magie, facĂ©tie, temps infini », in Guillaume Dye & Fabien Nobilio (eds.), Figures bibliques en islam, E.M.E., 2011, p. 58.

12↑ Sidney Griffith, art. cit., p. 120 ; NaĂŻma Afif, « Un nouveau tĂ©moin de l’Histoire des Sept Dormants d’EphĂšse. Le manuscript Cambridge Syr. Add. 2020. Texte et traduction », Babelao, vol. 1, 2012, passim et notamment pp. 25-26.

13↑ Épiphane de Salamine, The Panarion of Epiphanus of Salamis, trad. Frank Williams, vol. 2, Brill, 1994, pp. 141-145.

14↑ Voir Elizabeth A. Clark, The Origenist Controversy: The cultural construction of an early Christian debate, Princeton University Press, 1992.

15↑ Benjamin Hansen, « Origenism/Origenist Controversy », Brill Encyclopedia of Early Christianity Online, Brill, 2023.

16↑ Ernst Honigmann, art. cit., p. 142, n°3.

17↑ Tommaso Tesei, « QS 20 Q 18:9 – 26 », in Mehdi Azaiez, Gabriel Said Reynolds, Tommaso Tesei & Hamza M. Zafer (eds.), The Qur’an Seminar Commentary, op. cit., pp. 218-219.

18↑ Peter Von Sivers, « Die HĂ€resie der Araber. Eine vernachlĂ€ssigte Quelle zum VerstĂ€ndnis de la rĂ©surrection dans le Coran », Ă  paraitre dans le prochain volume d’Inarah (2025).

19↑ Tor Andrae, Les origines de l’islam et le christianisme, traduit de l’allemand pas Jules Roche, Adrien-Maisonneuve, 1955, p. 168 sqq.

20↑ Tor Andrae, Les origines de l’islam et le christianisme, traduit de l’allemand par Jules Roche, Adrien-Maisonneuve, 1955, p. 168 sqq.

21↑ Charles Clermont-Ganneau, « El-Kahf et la caverne des sept dormants », Comptes rendus des sĂ©ances de l’AcadĂ©mie des Inscriptions et Belles-Lettres, vol. 43-5, 1899, p. 566.

22↑ Cette anonymisation n’est pas propre aux dormants de la caverne. Le Coran a l’habitude de ne pas citer les noms des personnages qu’il mentionne. Par exemple, Ève n’est jamais dĂ©signĂ©e par son nom dans le Coran, qui la nomme simplement « la femme d’Adam ». Il en va de mĂȘme pour Abel et CaĂŻn, appelĂ©s « les deux fils d’Adam ». Cela suggĂšre que le public auquel il s’adressait connaissait les dĂ©tails des rĂ©cits, de sorte qu’il n’était point besoin d’y revenir. Voir en ce sens nos remarques en conclusion du prĂ©sent article.

23↑ Ibn KathĂźr, TafsĂźr, Ă©d. Musammad Bayren, Dar al-Kutub al-‘Ilmiyya, 1424/2004, vol. 3, p. 71 sqq.

24↑ GeneviĂšve Gobillot, « Die ‘Legenden der Alten’ im Koran: Die ErzĂ€hlung von den SchlĂ€fern in der Höhle und der Alexander-Roman anhand von Sure 18 », in Markus Groß & Karl-Heinz Ohlig (eds.), Die Entstehung einer Weltreligion II: Von der koranischen Bewegung zum FrĂŒhislam, InĂąrah Hans Schiler, 2012, p. 670.

25↑ Al-Tabari, citĂ© par Mohammed Arkoun, « Lecture de la sourate 18 », Annales. Économies, SociĂ©tĂ©s, Civilisations, vol. 25 (3-4), 1980, p. 425.

26↑ Patricia Crone, « Two Legal Problems Bearing on the Early History of the Qurʟān », Jerusalem Studies in Arabic and Islam, vol. 18 (1994), pp. 1-37 ; Fred Donner, « Quranic Furān », Journal of Semitic Studies, vol. 52 (2), 2007, pp. 295-300.

27↑ Mehdy Shaddel, « Studia onomastica coranica: al-raqīm, caput Nabataeae », Journal of Semitic Studies, vol. 62, 2017, pp. 303-318.

28↑ Ibid, pp. 317-318.

29↑ Jaakko FrösĂ©n, Antti Arjava & Marjo Lehtinen (eds.), The Petra Papyri I, American Center of Oriental Research, 2002, p. 3.

30↑ James A. Bellamy, « Al-RaqÄ«m or al-RuqĆ«d? A Note on SĆ«rah 18:9 », Journal of the American Oriental Society, vol. 111 (1), 1991, pp. 115-117.

31↑ Sidney Griffith, art. cit., pp. 125-126.

32↑ Par exemple, la version syriaque prĂ©servĂ©e dans le manuscrit Cambridge Syr. Add. 2020 : « Ecrivons le tĂ©moignage de ces confesseurs sur des tablettes de plomb et mettons-(les) dans un coffre de cuivre que nous scellerons avec des sceaux d’argent ; (ensuite) elles seront posĂ©es secrĂštement Ă  l’intĂ©rieur avec ceux qui fermeront l’entrĂ©e de la caverne. » (trad. NaĂŻma Afif, art. cit., p. 54).

33↑ ManoĂ«l PĂ©nicaud, « Il Ă©tait une fois les Sept Dormants d’EphĂšse
 », La pensĂ©e de midi, vol. 3, 2007, p. 50.

34↑ Jean Chevalier & Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, Robert Laffont, 1982, pp. 180-185.

35↑ Yulia Ustinova, Caves and the Ancient Greek Mind: Descending Underground in the Search for Ultimate Truth, Oxford University Press, 2009.

36↑ DiogĂšne de LaĂ«rce, Vies et doctrines des philosophes, Livre I, X.

37↑ Sean Anthony, Muhammad and the Empire of the Faith: The Making of the Prophet of Islam, University of California Press, 2020, p. 167 ; Thomas Eich, art. cit.

38↑ Juan Cole, Rethinking the Qur’an in Late Antiquity, De Gruyter, 2025, p. 104.

39↑ Louis Ginzberg, The Legend of the Jews, The Jewish Publication Society, 2003 (1Ăšre Ă©dition : 1909), vol. 2, p. 919.

40↑ David Sidersky, Les origines des lĂ©gendes musulmanes dans le Coran et dans les vies des prophĂštes, Paris : Paul Geuthner, 1933, p.154.

41↑ Michel Tardieu, art. cit., pp. 54-57.

42↑ Claudien, ƒuvres complĂštes, trad. V. CrĂ©pin, Garnier, 1933, vol. 2, pp. 55-57.

43↑ David Adams Leeming, Mythology: The Voyage of the Hero, Oxford University Press, 1998, pp. 118-120.

44↑ Elissa R. Henken, « Sleeping King [Sleeping Hero] », in Carl Lindahl, John McNamara & John Lindow (eds.), Medieval Folklore: A Guide to Myths, Legends, Tales, Beliefs, and Customs, Oxford University Press, 2002, p. 389.

45↑ Gilles Lecuppre, « Rois dormants et montagnes magiques », Actes des congrĂšs de la SociĂ©tĂ© des historiens mĂ©diĂ©vistes de l’enseignement supĂ©rieur public, vol. 34, 2003, p. 348.

46↑ Pieter van der Horst, « Pious Long-Sleepers in Greek, Jewish, and Christian Antiquity », in Menahem Kister, Hillel Newman, Michael Segal, & Ruth Clements (eds.), Tradition, Transmission, and Transformation from Second Temple Literature through Judaism and Christianity in Late Antiquity, Brill, 2015, pp. 93-111.

47↑ Aristote, Physique, IV, 218 b.

48↑ DiogĂšne de LaĂ«rce, op. cit.

49↑ Pline, Histoire naturelle, VII, 175.

50↑ Un texte pseudĂ©pigraphique dĂ©signe un Ă©crit dont l’auteur rĂ©el attribue la paternitĂ© Ă  quelqu’un d’autre (en rĂšgle gĂ©nĂ©rale, un prophĂšte, un Ă©crivain ou philosophe). Pour plus de renseignements, le lecteur intĂ©ressĂ© pourra consulter notre article introductif dans la section dĂ©diĂ©e aux sources du Coran.

51↑ GeneviĂšve Gobillot, « Die ‘Legenden der Alten’ im Koran », art. cit., p. 691.

52↑ Gabriel Said Reynolds, The Qur’an and the Bible. Text and Commentary, Yale University Press, 2018, pp. 101-102.

53↑ Talmud de Babylone, Ta’anit 23a.

54↑ Sidney Griffith, art. cit., p. 129.

55↑ Ibid.

56↑ GeneviĂšve Gobillot, « Gens de la Caverne », art. cit., p. 364.

57↑ Alden A. Mosshamme, The Easter Computus and the Origins of the Christian Era, Oxford University Press, 2008, p. 320.

58↑ Voir al-Bukhari 5163, 5949.

59↑ Sidney Griffith, art. cit., p. 128.

60↑ « In provincia Asia civitas Ephesus, ubi sunt septem fratres durmientes et catulus Viricanus ad pedes eorum » (« dans la Province d’Asie, la ville d’ÉphĂšse, oĂč se trouvent la fratrie des sept dormants et le chien Viricanus Ă  leurs pieds »).

61↑ Miguel Ángel AndrĂ©s-Toledo, « Reshaping Religious Traditions: The Seven Sleepers of Ephesus and the Zoroastrian Golden-eared Dog », Iran Namag, vol. 6 (3-4), 2021, p. 84.

62↑ Cf., dans l’Avesta, le chien du paradis et, sur le terrain indien, Rama refusant d’entrer dans le ciel d’Indra si l’on n’y admet aussi son chien (voir Charles Clermont-Ganneau, art. cit., p. 567, n°6).

63↑ Michel Tardieu, art. cit., p. 44. La dimension magique du chien, dĂ©jĂ  perceptible dans le Coran et les traditions chrĂ©tiennes, a survĂ©cu dans la culture populaire musulmane. En Afrique du Nord, la rĂ©citation du verset 16 qui mentionne son nom sert Ă  soigner les morsures de chien enragĂ©. Son nom, aux cĂŽtĂ©s de ceux des dormants, est gravĂ© sur des amulettes utilisĂ©es lors de rituels magiques. Cf. GeneviĂšve Gobillot, « Gens de la Caverne », art. cit., p. 364 et Farouk Yahya, « Talismans with the Names of the Seven Sleepers of Ephesus/Ashāb al-Kahf in Muslim Southeast Asia », in Majid Daneshgar & Ervan Nurtawab (eds.), Malay-Indonesian Islamic Studies. A Festschrift in Honor of Peter G. Riddell, Brill, 2023, pp. 209-265.

64↑ Karl Preisendanz, Papyri graecae magicae, Die griechischen Zauberpapyri, Teubner, 1994, vol. 2, 213-214.

65↑ Flavia Ruani, « Cave Canem! Notes sur le rejet du salut des animaux chez quelques auteurs syriaques », in Michele Cutino, Isabel Iribarren & Françoise Vinel (eds.), La restauration de la crĂ©ation : quelle place pour les animaux ? Actes du colloque de l’ERCAM tenu Ă  Strasbourg du 12 au 14 mars 2015, Brill, 2018, pp. 183-212.

66↑ Mette Bjerregaard Mortensen, « Commentaire de la sourate 18 » in Mohammad Ali Amir-Moezzi & Guillaume Dye (eds.), Le Coran des Historiens, Le Cerf, 2019, vol. 2a, p.705.

67↑ Georges Archer, « The Hellhound of the Qur’an: A Dog at the Gate of the Underworld Hellhound », Journal of Qur’anic Studies, vol. 18 (3), 2016, p. 5.

68↑ Michel Tardieu, art. cit., p. 57.

69↑ Georges Archer, « The Hellhound of the Qur’an: A Dog at the Gate of the Underworld », Journal of Qur’anic Studies, vol. 18 (3), 2016, p. 5.

70↑ Frantz Grenet, « Le rituel funĂ©raire zoroastrien du sedra dans l’iconographie sogdienne », Cahiers de Studia Iranica, vol. 42, 2009, pp. 103-111.

71↑ GeneviĂšve Gobillot, « Die ‘Legenden der Alten’ im Koran », art. cit., p. 673.

72↑ Georges Archer, art. cit., p. 5.

73↑ GeneviĂšve Gobillot, « Gens de la Caverne », art. cit., p. 364.

74↑ Ibid.

75↑ Michel Tardieu, art. cit., p. 42.

76↑ CitĂ© par GeneviĂšve Gobillot, « Die ‘Legenden der Alten’ im Koran », art. cit., p. 673.

77↑ J. Edward Walters, « Sleep of the Soul and Resurrection of the Body: Aphrahat’s Anthropology in Context », Hugoye: Journal of Syriac Studies, vol. 22 (2), 2019, pp. 433-465.

78↑ On remarque d’ailleurs un point intĂ©ressant concernant l’histoire de la rĂ©daction : les versets 18 : 9-12 constituent un rĂ©sumĂ© ultra bref du rĂ©cit, Ă  la suite duquel une nouvelle version plus Ă©tendue vient s’ajouter. Il n’est pas impossible qu’à l’origine, les deux passages constituaient des pĂ©ricopes indĂ©pendantes mises bout Ă  bout par les scribes chargĂ©s de l’édition du Coran.

79↑ Gabriel Said Reynolds, The Qur’an and Its Biblical Subtext, Routledge, 2008, p. 167 ; Juan Cole, op. cit., p. 106.

80↑ Claude LĂ©vi-Strauss, La pensĂ©e sauvage, Plon, 1962.

81↑ Stith Thompson, Motif-index of Folk-literature: A Classification of Narrative Elements in Folktales, Ballads, Myths, Tables, Medieval romance, Exempla, Fabliaux, Jest-books, and Local Legends, Indiana University Press, 1958, pp. 175-176.

82↑ GeneviĂšve Gobillot, « Gens de la caverne », art. cit., p. 364.

83↑ Mohammed Arkoun, art. cit., p. 427.