Épisode 1 : Aux origines de La Mecque

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Introduction

Lorsqu’on parle des « sources » du Coran, on pense spontanément aux écrits talmudiques et syriaques ainsi qu’aux livres apocryphes de la Bible. Mais qu’en est-il des textes grecs ? Ont-ils exercé une influence sur le Coran ? L’idée que le texte sacré des musulmans serait étranger à la Grèce Antique est fortement enracinée dans les esprits, mais elle « ne résiste pas à un examen approfondi du texte »1. En réalité, de nombreux passages du Coran présentent des similitudes avec la mythologie et la philosophie grecque. C’est ce qu’a montré notamment l’écrivain sénégalais Oumar Sankharé dans son ouvrage Le Coran et la culture grecque, qui lui a valu quelques ennuis dans son pays d’origine2.

Les Arabes et les Grecs

La question se pose alors de savoir comment les écrits grecs ont pu trouver leur chemin jusqu’au Coran. Avant toute chose, l’influence des écrits grecs sur le Coran s’est probablement réalisée de manière indirecte : il ne s’agit pas de dire que le(s) rédacteur(s) du Coran étaient des lecteurs de Platon ou de Xénophon. Il faut plutôt envisager que certaines traditions grecques, elles-mêmes reprises par les chrétiens, s’étaient disséminées par la voie orale dans une grande partie du Proche-Orient, y compris en Arabie.

Le portrait d’une Arabie préislamique comme une « coquille vide » isolée du reste du monde est une construction fictive qui date de la période abbasside. Le motif apologétique est évident : il s’agissait alors de répondre aux accusations d’influences extérieures portées contre le Coran3. Cependant, cette image est démentie par les travaux archéologiques et épigraphiques menés par les historiens, qui montrent que la péninsule était pleinement intégrée aux dynamiques culturelles et religieuses du Proche-Orient antique. En particulier, de nombreux indices suggèrent que la culture et la langue grecques étaient connues des Arabes avant l’islam – en particulier chez les chrétiens. Avec le syriaque, le grec était une langue des Églises orientales – c’était aussi la langue officielle de l’empire byzantin. L’archéologue Leah Di Segni note ainsi que « le grec était la langue écrite qui dominait à la fin de l’Antiquité en Palestine et en Arabie, en particulier chez les chrétiens, qui composaient la majorité de la population dans la région dès la fin du 6e siècle »4. Il existe en outre de nombreuses preuves que l’usage du grec était répandu en Arabie, non seulement dans les villes, mais également dans le désert5. En témoignent, par exemple, les inscriptions bilingues arabe/grec et même grec/araméen découvertes dans la péninsule6. On rappellera également que le Coran comporte des mots empruntés au grec7, ce qui vient conforter l’hypothèse que le milieu coranique était ouvert aux influences de la langue. Dès lors, il n’est guère étonnant de retrouver, à l’intérieur du Coran, des idées et des thèmes issus des textes mythologiques et philosophiques grecs. Nous verrons plusieurs exemples de ce type dans les prochains épisodes.

Références

1↑ Michel Cuypers & Geneviève Gobillot, Idées reçues sur le Coran, entre tradition islamique et lecture moderne, Le Cavalier Bleu, 2014, p. 71.

2↑ Oumar Sankharé, Le Coran et la culture grecque, L’Harmattan, 2014.

3↑ Juan Cole, « Muhammad and Justinian: Roman Legal Traditions and the Qur’an », Journal of Near Eastern Studies, vol. 79 (2), 2020, p. 188.

4↑ Leah Di Segni, « Greek Inscriptions in Transition from the Byzantine to the Early Islamic Period », in Hannah M. Cotton et al. (eds.), From Hellenism to Islam: Cultural and Linguistic Change in the Roman Near East, Cambridge University Press, 2009, p. 356.

5↑ Mohsen Gourdazi, « Peering Behind the Lines », Harvard Theological Review, vol. 113 (3), 2020, p. 433.

6↑ Pierre-Louis Gatier, « Les Jafnides dans l’epigraphie grecque au VIe siècle » in Denis Genequand & Christian J. Robin (eds.), Les Jafnides: Des rois arabes au service de Byzance (VIe siècle de l’ère chrétienne), Éditions de Boccard, 2015, pp. 193-222 ; Ahmad al-Jallad & Ali al-Manaser, « New Epigraphica from Jordan I: A Pre-Islamic Arabic Inscription in Greek Letters and a Greek Inscription from North-Eastern Jordan », Arabian Epigraphic Notes, vol. 1, 2015, pp. 51-70 ; id., « New Epigraphica from Jordan II: Three Safaitic-Greek Partial Bilingual Inscriptions », vol. 2, 2016, pp. 55-66.

7↑ Arthur Jeffery, The Foreign Vocabulary of the Qur’an, Brill, 2007 (première édition : 1937), passim.