Épisode 1 : L'islam : un progrès pour les femmes ?

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Introduction

     Il est courant d’entendre qu’à l’époque préislamique, les femmes d’Arabie ne possédaient aucun droit, qu’elles étaient maltraitées, voire enterrées vivantes dès la naissance. L’avènement de l’islam aurait naturellement permis de mettre un terme à ces pratiques d’un autre âge et de faire progresser le statut des femmes en leur accordant des droits qu’elles n’avaient pas. Mais cette image véhiculée par les sources islamiques est-elle fidèle à la réalité historique ? Ne s’agirait-il pas d’un mythe visant à noircir la jâhiliyya, la « période de l’ignorance » censée caractériser l’Arabie avant l’islam ? L’histoire de l’Arabie préislamique est désormais mieux connue : les campagnes de fouilles menées dans la péninsule ont mis au jour de nombreuses inscriptions qui permettent de jeter un nouveau regard sur la question. Comme le souligne Mona Samadi :

il y a des exemples de femmes qui étaient propriétaires de terres et qui étaient reconnues publiquement et officiellement comme telles dans des documents juridiques. On leur reconnaissait le droit de comparaitre au tribunal en leur propre nom, ainsi que le droit d’hériter. Les femmes pouvaient faire établir des documents juridiques sans avoir besoin d’un tuteur. Il existe également des exemples de femmes qui ont agi en qualité de juge dans la résolution de conflits. Les reines, les déesses et les femmes prophètes, ainsi que les femmes de la classe supérieure, jouissaient d’un statut élevé et de droits et privilèges juridiques. Les reines étaient représentées sur les pièces de monnaie, drapées dans de longs vêtements ceinturés à la taille1.

       L’objectif de cet article est donc de faire un inventaire du statut de la femme dans l’Arabie avant l’islam, en utilisant les sources historiques disponibles. Nous pourrons alors établir une comparaison avec les lois instituées par l’islam, et déterminer de manière objective si ce statut a progressé ou s’est dégradé suite à l’arrivée de la nouvelle religion.

Les Arabes enterraient-ils les fillettes vivantes ?

     Nous allons aborder en premier lieu la croyance d’après laquelle les Arabes enterraient leurs fillettes vivantes. Cette croyance est encore largement répandue de nos jours, bien qu’elle repose exclusivement sur les sources musulmanes écrites plusieurs siècles après les faits supposés. En dehors de ces sources tardives, toutefois, il n’existe pas la moindre preuve que cette prétendue coutume était courante. Certes, l’abandon ou le meurtre d’enfants étaient des pratiques connues dans la plupart des cultures durant l’antiquité. Chez les Romains, par exemple, le père de famille (pater familias) avait le droit de vie ou de mort sur ses enfants, filles comme garçons2. Cependant, même si la chose était permise, l’historienne Eleanor Scott rappelle qu’elle était rare et que l’exagération du phénomène est un « mythe moderne »3. De plus, les filles n’étaient pas davantage victimes que les garçons. Dans certains cas, c’était même plutôt l’inverse : « la femme était hautement valorisée dans la société adulte et donc mieux protégée durant la petite enfance et l’enfance que l’homme »4. Quoi qu’il en soit, la pratique de l’infanticide a fortement reculé avec l’arrivée du christianisme. Dans sa Première Apologie, Justin Martyr (m. 165) avait condamné l’infanticide et comparé l’abandon des nouveau-nés à un meurtre. Pour les auteurs chrétiens postérieurs, la lutte contre le meurtre des enfants était l’un des principaux combats menés contre leurs adversaires païens5. L’ampleur de ce mouvement, qu’on peut qualifier de petite révolution, aura permis d’allonger l’espérance de vie des femmes6. On voit donc qu’à la veille de l’islam, la pratique de l’infanticide (filles et garçons confondus) avait largement reculé avec l’expansion du christianisme. On sait par ailleurs que l’Arabie préislamique était devenue en grande partie chrétienne, contrairement à l’image véhiculée par les sources islamiques d’une Arabie demeurée polythéiste7.

     Le spécialiste de l’Arabie préislamique Ilkka Lindstedt s’est récemment penché sur la question du meurtre des fillettes chez les Arabes. Il souligne qu’on ne possède pas la moindre source faisant référence à l’infanticide des filles chez les Arabes préislamiques, et ajoute qu’il n’existe « aucune preuve archéologique ou matérielle » concernant cette pratique8. L’écrivain grec Porphyre mentionne au troisième siècle une tribu arabe qui d’après lui, sacrifie chaque année un enfant pour son culte, mais il s’agit d’un garçon et non d’une fille8. Autrement dit, la croyance selon laquelle les Arabes enterraient leurs fillettes vivantes ne repose sur strictement aucune preuve. De plus, comme on l’a vu, la christianisation du Proche-Orient, y compris dans la péninsule arabique, avait conduit à la marginalisation de la pratique. Bien sûr, il est possible et même probable que des parents aient tué leur enfant à cause de la pauvreté, de la maladie ou de la folie – cela ayant existé à tous types d’époques, la nôtre y compris. Mais l’absence de documentation suffit à démontrer que la pratique n’était pas répandue à large échelle, comme l’affirment les sources musulmanes postérieures. Par ailleurs, l’arrivée de l’islam n’a pas permis d’éradiquer totalement cette pratique. Le théologien Ibn Taymiyya (m. 1328) avait émis un avis juridique (fatwa) sur la question, ce qui témoigne qu’à son époque, il existait des cas d’infanticides dans les sociétés musulmanes10. Encore de nos jours, le sort des petites filles demeure préoccupant dans certains pays islamiques. En Égypte, par exemple, une étude conduite par le gouvernement a montré que la mortalité infantile était plus élevée chez les filles, « ce qui indique une négligence parentale », précise la chercheuse Nancy Gallagher11.

Quand l’Arabie était gouvernée par des femmes

    On a vu que la croyance selon laquelle les femmes arabes préislamiques étaient dépourvues de tous droits, voire tuées à la naissance, était démentie par les données historiques. Loin de cette image cauchemardesque, l’histoire des femmes en Arabie est aussi celle des reines, des princesses et des prêtresses. En effet, plusieurs royaumes arabes avaient placé une femme à leur tête. La Bible et le Coran rapporte tous deux l’histoire de la reine de Saba, censée avoir régné dans le sud de l’Arabie à l’époque du roi Salomon. Mais il s’agit d’un personnage légendaire, et il n’existe à ce jour aucune preuve que des reines aient gouverné dans la région sud-arabique12. En revanche, la documentation est beaucoup plus fournie s’agissant de la partie nord de la péninsule. La première figure féminine arabe dépeinte comme une souveraine est la reine Zabibi, mentionnée dans une archive assyrienne datant du 8e siècle avant notre ère13. Le document ne précise pas la localité exacte de son royaume, mais Nadia Abott a montré qu’il devait s’agir de la cité antique de Dumat al-Djandal, située tout à fait au nord de l’Arabie14. L’archive mentionne également une autre reine, Samsi, qui aurait succédé à la première, et à qui il est reproché d’avoir violé un serment. Elle aurait apparemment dû s’enfuir dans le désert après que son royaume fut assiégé par les armées du roi d’Assyrie, et finit par accepter de payer un lourd tribut à ce dernier15.

     L’ancien royaume de Lihyan, fondé au 6e siècle avant notre ère, était lui aussi dirigé par une femme, du moins à une certaine période de sa (courte) vie. Une inscription en langue sabéenne, découverte lors d’une mission archéologique française en 1907, mentionne effectivement une « reine de Lihyan », dont le nom est malheureusement illisible. Mais l’inscription suffit à démontrer que « la reine avait donc un rôle officiel », précisent les archéologues16. Non loin de là était situé le royaume nabatéen, fondé en – 312 et qui s’étendait à l’époque du nord de la péninsule (dans l’actuelle Syrie-Jordanie), jusqu’au Hedjaz. Les Nabatéens ont connu plusieurs reines à la tête du royaume. La première connue à ce jour est une dénommée Hâjar I. On ne sait pas grand-chose ni d’elle, ni de son règne (qui a dû être court), mais elle est désignée dans une inscription du 1er siècle comme la reine de Nabatea17. Suit une longue liste de souveraines nabatéennes, qui ont gouverné le royaume jusqu’à sa disparition au deuxième siècle. La reine Huld (règne de – 9 à 15), qui avait succédé à Hâjar I, est mieux connue. Son nom figure dans une inscription à Khribet et-Tannur, dans les environs de Pétra, ainsi qu’à Pouzzoles, en Italie18. Elle est décrite comme une « reine forte » et avait réussi à faire inscrire son nom et son titre sur une pièce de monnaie19.

Fig. 1 : pièce de monnaie représentant Haritah IV (à gauche) et la reine Huld (à droite)

     On voit donc que les exemples de femmes à la tête de leur royaume durant la période de « l’ignorance » ne manquent pas. Les femmes pouvaient donc être impliquées dans les affaires publiques et même se voir attribuer un rôle important. Après l’avènement de l’islam, les choses deviendront pour elles plus compliquées. Dans un hâdith célèbre, le prophète déclare en effet : « une nation gouvernée par une femme ne connaitra jamais le succès »20. Ce hâdith a servi de base aux juristes musulmans (fuqahâ) pour interdire aux femmes les fonctions de chefs d’État, et par extension, celles de juge et d’imam. Le savant al-Baghawi (m. 1122) a fait part dans son commentaire de la sunna du consensus établi par les juristes :

Les savants ont convenu que les femmes ne sont pas aptes à être chefs ou juges, car le chef doit sortir pour organiser le djihad et s’occuper des affaires des musulmans, et le juge doit sortir pour juger entre les gens, mais les femmes sont ‘awrah21 et il n’est pas convenable qu’elles sortent. En raison de leur faiblesse, les femmes ne sont pas en mesure de faire beaucoup de choses. Les femmes sont imparfaites, et les postes de dirigeants et de juges font partie des postes les plus parfaits pour lesquels seuls les hommes les plus parfaits sont qualifiés.22

     En fait, la participation des femmes à la vie publique et politique était même considérée par les savants musulmans médiévaux comme un signe de la fin du monde23.

L’indépendance financière des femmes

     Les femmes arabes préislamiques pouvaient de toute évidence pratiquer librement une activité économique et posséder des biens. Eleanor Doumato souligne ainsi que « le droit pour les femmes de contrôler leur propre propriété, une autre réforme que certains prétendent avoir été instituée par l’islam, existait déjà avant l’islam à Najran [ancienne capitale du Yémen, ndlr] et en Syrie »24, comme le montrent de nombreuses inscriptions de l’époque. Dans l’une de ces inscriptions, on peut lire le texte suivant :

Khalhamad, [du lignage] de Galidan, fille d’Ibn Hanz, a construit, fondé et achevé la maison de Tab’, et a aidé ses [deux] maris, ‘Shahr et Sha’b, et ses fils, les banû Galidan, avec mille monnaies ba’lat de sorte qu’elle soit rachetée de [son] lien de dépendance25.

     Comme on peut le voir, Khalhamad est engagée dans un mariage avec deux époux, fait construire une maison et aide financièrement les hommes de sa famille. On a également retrouvé un papyrus dans lequel une femme nabatéenne passe une annonce de vente de sa palmeraie, et garantit à l’acquéreur tous les droits de propriétés26. De nombreux actes de vente impliquant une femme dans la transaction ont été retrouvés, et en cas de litige, la femme pouvait en outre plaider devant la cour27. Selon une autre source, Ruhayma, une femme yéménite, déclare devant ses compatriotes :

Vous savez que je suis une chrétienne, et vous connaissez ma lignée, ma famille, et savez qui je suis ; et que je possède de l’or et de l’argent, et des esclaves et des servantes, et des produits des champs, et que je ne manque de rien […], et ce que je vous déclare ici en ce jour même, c’est que je possède quarante mille deniers, scellés et placés dans mon trésor en dehors du trésor de mon mari, ainsi que des bijoux, des perles et des jacinthes28.

     Ce profil de femme riche et indépendante n’avait rien d’exceptionnel durant la période préislamique. On en possède une fameuse illustration avec Khadîdja, la première épouse du prophète. Elle était surnommée dans les sources arabes la « princesse de Quraysh » ou encore « Khadîdja la grande », et elle aurait pu appartenir à une grande lignée aristocratique arabe29. Al-Tabari précise qu’elle avait perdu son mari, « qui lui avait laissé une fortune considérable, et elle faisait le commerce »30. Bref, tous ces exemples nous éloignent de l’image propagée dans les sources musulmanes postérieures où la femme arabe préislamique est dépeinte comme privée de ses droits et traitée comme une moins que rien.

Le droit d’héritage

     Contrairement à une idée reçue, les femmes pouvaient percevoir une part d’héritage dans certaines sociétés préislamiques, au Proche-Orient et en Arabie. Déjà chez les anciens Babyloniens, la loi sur l’héritage prévoyait qu’une fille touche la même portion que ses frères31. Les Romains avaient pareillement promulgué l’égalité en matière d’héritage, qui fut « acceptée par l’ensemble des juristes romains et jamais remise sérieusement en question »32. Environ un siècle avant l’islam, l’empire byzantin avait fait paraitre une loi visant à protéger les veuves qui n’ont pas reçu de dot de leur défunt mari. Le 1er octobre 537, l’empereur Justinien déclare en effet :

Nous voyons que lorsque les hommes qui sont mariés aux femmes qui n’ont pas de dot meurent, seuls les enfants sont légalement en droit de toucher la succession des biens de leur père, tandis que les veuves […] ne peuvent rien toucher des biens de leurs défunts maris, et sont obligées de vivre dans la plus grande pauvreté, Nous souhaitons leur assurer une subsistance en leur permettant d’hériter d’eux et de partager leurs biens conjointement avec les enfants. Comme Nous avons déjà promulgué une loi qui stipule que lorsqu’un mari divorce de sa femme, qu’il a épousée sans dot, elle touchera un quart de ses biens, comme dans le cas présent, qu’il y ait peu ou beaucoup d’enfants, l’épouse aura droit au quart des biens du défunt.

     Justinien précise en outre que cette disposition concerne les femmes et les hommes à part égale, chacun recevant un quart des biens laissés par l’autre :

Une fois encore, tout ce que Nous avons déclaré dans la présente loi à propos du quart qui revient de droit à la femme sera appliqué de manière égale au mari, car comme cette première, Nous rendons cette loi applicable aux deux33.

     Concernant l’Arabie, la situation est plus difficile à cerner car il n’existait pas à l’époque de code de loi régissant tous les habitants de la péninsule. Tout ce qu’on a, ce sont des inscriptions éparses et des documents qui donnent des renseignements sur une région et à une période donnée. Une inscription sud-arabique atteste par exemple que les femmes pouvaient hériter de leurs maris, mais la part exacte qui leur revenait n’est pas connue34. En Syrie, « les filles héritaient d’une part égale à celle des garçons, et les enfants étaient prioritaires par rapport aux autres membres de la famille, de sorte que si un père mourait en laissant uniquement des filles derrière lui, celles-ci étaient ses seules héritières », précise Eleonore Doumato35. Chez les Nabatéens, les femmes possédaient également le droit d’héritage, comme le montre une archive excavée lors de fouilles menées dans la région en 1963, dans laquelle une femme fait référence aux propriétés qu’elle a héritées de sa mère, de son premier et de son second mari36. L’état de notre documentation actuelle reste insuffisant pour porter un regard sur l’ensemble de l’Arabie à la veille de l’islam, mais on peut affirmer que l’accès au droit d’héritage pour les femmes était chose courante dans la péninsule, et dans les régions environnantes. De plus, lorsque l’information est connue, il apparait que la part touchée par la femme est généralement identique à celle de l’homme.

    Les lois sur l’héritage dans le Coran sont d’une grande complexité. Concernant les enfants héritant de leurs parents, le texte stipule : « au fils, une part équivalente à celle de deux filles » (4:11). En outre, le mari hérite de son épouse la moitié de ses biens si elle n’a pas d’enfants ou le quart si elle en a. La femme, de son côté, hérite respectivement du quart ou du huitième des biens de son mari, c’est-à-dire moitié moins. Précisons qu’en cas de mariage polygame, les co- épouses se partagent la même part du gâteau. Si, par exemple, un homme laisse derrière lui des enfants et quatre épouses, celles-ci devront se partager le huitième des biens de leur défunt mari, c’est-à-dire 1/32ᵉ chacune. Le Coran indique également que si un homme ou une femme meurt sans descendance en laissant derrière lui (ou elle) un frère ou une sœur, chacun d’eux reçoit un sixième de ses biens, et s’il y a plus de deux frères et sœurs, ils se partageront le tiers de l’héritage (4:12). Pourtant, le verset 176 de la même sourate précise que « si un homme meurt sans avoir d’enfants mais ayant une sœur, à celle-ci la moitié de ce qu’il laisse », mais si c’est la sœur qui meurt sans enfants, son frère hérite de l’intégralité de ses biens. Et il est dit plus loin que « s’il y a des frères et des sœurs, au mâle, part égale à celles de deux sœurs ».  Mais laissons de côté ces contradictions internes pour remarquer que le Coran s’éloigne des coutumes arabes et proche-orientales mentionnées plus haut, d’après lesquelles les hommes et les femmes touchaient la même part d’héritage. Dans le système coranique, la femme touche seulement la moitié de la part de l’homme, ce qui fait dire à Ghassan Ascha, spécialiste du droit musulman, que la fille en islam est reçue dès sa venue au monde avec morosité, et le système de l’héritage islamique accroit sa misère, son infériorité et sa dépendance de l’homme. Si elle est fille unique, elle ne reçoit que la moitié du legs de son père ; l’autre moitié va aux membres mâles de la famille du père. […] Cela amène les pères (et les mères) à préférer les enfants mâles aux filles, afin de léguer la totalité de leurs biens à leurs propres descendants37.

Conclusion

     Notre tour d’horizon sur le statut des femmes dans l’Arabie préislamique montre que les données historiques ne s’accordent pas avec le discours musulman majoritaire. Dans un certain nombre de domaines (indépendance économique, héritage, implication dans la vie politique…), le statut des femmes était manifestement plus évolué que celui qui prévaudra après l’arrivée de la nouvelle religion. Dans le domaine sociétal également, les femmes bénéficiaient, au moins dans certaines tribus, d’une plus grande liberté. Chez les Hûmum par exemple, une femme pouvait avoir des enfants en dehors du mariage, et ces derniers prenaient généralement le nom de leur mère ou de leur oncle maternel. Cela témoigne d’un lignage fondé sur la descendance maternelle, « un phénomène présent dans toute l’Arabie : chez les Nabatéens, dans l’est de la péninsule, dans l’Arabie méridionale. La poésie préislamique nous donne des témoignages sur ce type de descendance », précise l’archéologue Alessandra Avanzini38.

     L’image d’une Arabie ignorante où les femmes étaient privées de leurs droits les plus élémentaires ou même enterrées vivantes ne trouve aucun fondement dans les sources connues actuellement. Cette image faussée a été développée par les auteurs musulmans postérieurs dans le but de noircir la période préislamique. Dans son livre Women and Gender in Islam, l’historienne et féministe d’origine égyptienne Leila Ahmed avait bien perçu le phénomène. Elle écrit :

La civilisation islamique a développé une conception de l’histoire qui qualifie la période préislamique d’âge de l’ignorance et projette l’islam comme étant la seule source de civilisation – et a utilisé cette conception d’une manière si efficace dans sa réécriture de l’histoire, que les peuples du Moyen-Orient ont perdu toute connaissance des civilisations passées de la région. De toute évidence, cette construction était utile d’un point de vue idéologique, réussissant à dissimuler, entre autres, le fait que dans certaines cultures du Moyen-Orient, les femmes étaient bien mieux loties avant l’avènement de l’islam qu’après39.

Références

1↑ Mona Samadi, Advaning the Legal Status of Women in Islamic Law, Brill, 2021, p. 68.

2↑ Voir par exemple Paul, Ad Sabinum (Digeste, 28, 2, 11).

3↑ Eleanor Scott, « Unpicking a Myth: the infanticide of female and disabled infants in antiquity »,Theoretical Roman Archeology Conference, 2001, pp. 143-51.

4↑ Ibid, p. 145.

5↑ Rodney Stark, The Rise of Christianity¸ Harper Collins, 1997, pp. 125-26.

6↑ John Behr, « Social and Historical Setting » in Frances Young et al. (eds.), The Cambridge History of Early Christian Literature, Cambridge University Press, 2004, p. 62.

7 Voir par exemple Christian J. Robin, « Du paganisme au monothéisme », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, vol. 61, 1991, pp. 139-55 ; cf. plus récemment Ilkka Lindstedt, Muhammad and His Followers in Context. Religious Map of Late Antique Arabia, Brill, 2023.

8↑ Ilkka Lindstedt, « The Qurʾān and the Putative pre-Islamic Practice of Female Infanticide », Journal of the International Qur’anic Studies Association, vol. 8 (1), 2023, pp. 11-12.

9↑ Ibid, p. 11.

10↑ Ibn Taymiyya, Majmūʿat al-fatāwā, Le Caire : Maṭbaʿat Kurdistān al-ʿIlmiyya, 1326–1329, vol. 4, p. 182.

11↑ Nancy Gallagher, « Infanticide and Abandonment of Female Children » in Suad Joseph (ed.), Encyclopedia of Women & Islamic Cultures, vol. 2, p. 297.

12↑ Emran El-Badawi, Queens and Prophets. How Arabian Noblewomen and Holy Men Shaped Paganism, Christianity and Islam, Londres : Oneworld, 2022, p. 66. Voir cependant Mounir Arbach, « Une reine en Arabie du Sud ? Abîwathan fille de Yasaq’îl, d’après une inscription provenant de la région du Jawf », Arabian Humanities, vol. 12, 2004.

13↑ Nadia Abott, « Pre-Islamic Arab Queens », The American Journalof Semitic Languages and Literatures, vol. 58 (1), 1941, p. 4.

14↑ Ibid.

15↑ Ibid.

16↑ Antonin Jaussen & Raphaël Savignac, Mission archéologique en Arabie I, de Jérusalem au Hedjaz Médain-Saleh, Publications de la Société française des fouilles archéologiques, Paris : Ernest Leroux, 1907, p. 315.

17↑ Hatoon Ajwad al-Fassi, Women in Pre-Islamic Arabia: Nabatea, Oxford : BAR International Series 1659, 2007, p. 40.

18↑ Ibid, p. 41.

19↑ Ibid.

20↑ Al-Bukhari 7099.

21↑ La ‘awrah désigne la partie honteuse du corps que les hommes et les femmes doivent cacher en la recouvrant d’un habit. La majorité des savants considèrent que la totalité du corps des femmes (rognures d’ongles comprises) est ‘awrah et doit être cachée.

22↑ Al-Baghawi, Sharḥ al-sunnah, vol. 10, p. 77.

23↑ Walid Saleh, « The Woman as a Locus of Apocalyptic Anxiety in Medieval Sunni Islam », in Angelika Neuwirth et al. (eds.), Myths, Historical Archetypes and Symbolic Figures in Arabic Literature: Towards a New Hermeneutic Approch. Proceedings of the International Sympiosum in Beirut, June 25th – June 30th, 1996, Deutschen Morgenlaendischen Gesellschaft, 1996, pp. 136-37.

24↑ Eleanor A. doumato, « Hearing Other Voices: Christian Women and the Coming of Islam », International Journal of Middle East Studies, vol. 23 (2), 1991, p. 186.

25↑ Alessandra Avanzini, « Remarques sur le “matriarcat“ en Arabie du sud », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, vol. 61, 1991, p. 159.

26↑ Hatoon Ajwad al-Fassi, op. cit., p. 48.

27↑ Ibid, p. 51.

28↑ Eleanor A. doumato, art. cit., p. 185.

29↑ Emar El-Badawi, op. cit., p. 31.

30↑ Al-Tabari, Histoire des Prophètes et des Roistraduit par Hermann Zotemberg, La Ruche, vol. 3, p. 58.

31↑ Marten Stol, Women in the Ancient Near East, De Gruyter, 2016, p. 300.

32↑ Yakir Paz, «The Torah of the Gospel: A Rabbinic Polemic against The Syro-Roman Lawbook », Harvard Theological Review, vol. 112 (4), 2019, p. 523.

33↑ Corpus iuris civilis, Novella 53:6.

34↑ Eleonore Doumato, art. cit., p.185.

35↑ Ibid, pp. 185-86.

36↑ Hatoon Ajwad al-Fassi, op. cit., p. 56.

37↑ Ghassan Ascha, Du statut inférieur de la femme en Islam, L’Harmattan, 1999, p.75.

38↑ Alessandra Avanzini, art. cit., p. 158.

39↑ Leila Ahmed, Women and gender in Islam : Historical Roots of a Modern Debate, Yale : Yale University Press, 1993, p. 37.