Les seins de la discorde

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Contexte

D’après la Bible, la mère de Moïse, sachant que la vie de l’enfant était en danger, décida de l’abandonner dans les roseaux au bord du fleuve. Le garçon est retrouvé par la fille de Pharaon qui engage la mère naturelle de l’enfant comme nourrice avant de l’adopter (Exode 2:2-10). La sourate 28 du Coran reprend la trame du récit biblique (avec quelques différences mineures). Le verset 12 introduit toutefois un détail qui ne figure pas dans la Bible, à savoir le fait que Dieu interdit à Moïse le sein des femmes venant du peuple de Pharaon. Ce détail provient d’une légende, très présente dans l’Antiquité, selon laquelle Moïse refusait le sein des femmes qui n’étaient pas issues du peuple hébreu.. Mais que sait-on véritablement des origines de la lapidation, qui était autrefois une pratique judaïque ? Et que disent les textes musulmans sur la question ? Cet article fera d’une pierre deux coups : nous découvrirons tout d’abord comment l’adultère était sanctionné dans l’Antiquité, puis nous présenterons la position des juristes musulmans.

Les attestations de la légende

La légende reprise par le Coran est attestée pour la première fois dans les Antiquités juives de Flavius Josèphe (m. ~ 100), qui relate :

Mais comme, loin de prendre le sein, [Moïse] se détournait et qu’il témoigna de même sa répugnance pour plusieurs autres femmes, Mariamme, qui venait d’arriver sans but apparent et comme une simple curieuse dit : « C’est peine perdue, ô reine, que d’appeler pour nourrir cet enfant des femmes qui n’ont aucun lien d’origine avec lui, si tu faisais venir une femme de chez les Hébreux, peut-être prendrait-il le sein d’une femme de sa race » (Antiquités Juives, II, 9:5).

Les historiens ont également remarqué la présence de la légende dans la littérature rabbinique, et notamment dans le Talmud1 :

Sa sœur dit à la fille de Pharaon : « Irai-je te chercher une nourrice parmi les femmes hébraïques ? Pourquoi seulement « des femmes hébraïques » ? cela nous apprend qu’ils ont présenté Moïse à toutes les femmes égyptiennes, mais qu’il n’a pas voulu téter. Il dit : Une bouche qui parle avec [Dieu] doit-elle sucer ce qui est impur ? (b. Sotah 12b).

Dans ce passage, les rabbins cherchent à rationaliser le fait que Moïse refuse le sein des femmes égyptiennes. Le refus est justifié par l’idée qu’une bouche qui parle avec Dieu (celle de Moïse) n’est pas censée sucer « ce qui est impur ». Le rédacteur du passage coranique mentionnant l’interdiction faite à Moïse de prendre le sein des égyptiennes avait très certainement en tête la tradition rabbinique que nous venons de voir. C’est même cette tradition qui permet de comprendre le sens du verset : Allâh interdit à Moïse le sein des égyptiennes à cause de leur impureté. Comme souvent, donc, les légendes de l’Antiquité permettent d’éclaircir le sens du Coran. Précisons pour terminer qu’on trouve également une trace de la légende dans les écrits syriaques2. On ne peut donc pas déterminer si le rédacteur coranique s’appuie sur une source juive ou chrétienne.

Références

1↑ Heinrich Speyer, Die Biblische Erzählungen im Qoran, Georg Olms Verlag, 1931, p. 224.

2↑ Jan Van Reeth, « Commentaire de la sourate 28 », in Mohammad Ali Amir-Moezzi & Guillaume Dye (eds.), Le Coran des historiens, Le Cerf, 2019, vol. 2b, pp. 1029-1030. Van Reeth précise que la source du Coran est probablement « à chercher dans une telle tradition chrétienne ».